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leurs richesses éphémères. La comédie de Ménandre a popularisé le type de ces soldats d’aventure qui venaient dévorer en quelques jours, chez les courtisanes d’Athènes, l’argent qu’ils avaient gagné à la cour des souverains de l’Orient. Elle aime à les montrer bien reçus de leurs maîtresses et flattés par leurs parasites tant que durent les dariques ou les philippes d’or, puis chassés et raillés quand ils n’ont plus rien dans leur bourse. Parmi ces enrichis, il y en avait qui faisaient de leur fortune un meilleur usage : ils imitaient leurs maîtres et achetaient des tableaux ou des statues pour en orner leurs maisons.

C’était une nouveauté. M. Helbig pense que, dans la grande époque de l’art, les artistes ne travaillaient guère pour les particuliers. On nous dit sans doute qu’Agatharcus décora la maison d’Alcibiade, mais Alcibiade ne pouvait pas passer pour un citoyen connue les autres. D’ordinaire les peintres gardaient leur talent pour le public. Ils couvraient les vastes murailles des portiques de scènes empruntées aux vieilles légendes et aux poèmes d’Homère, ou ils composaient des tableaux qui devaient être placés dans des temples. Peut-être leur aurait-il semblé que c’était humilier l’art que de le faire servir aux plaisirs d’un seul homme. Pline au moins le laisse entendre, et il ajoute en termes magnifiques que leurs tableaux, au lieu d’être enfermés dans une maison où quelques privilégiés pénètrent à peine, avaient la ville entière pour demeurer, que tout le monde pouvait les contempler, et qu’un peintre alors appartenait à tout l’univers : pictor res communis terrarum erat. Mais il semble que, quand les cités grecques perdirent leur liberté, sous Alexandre, leurs habitans se soient un peu détachés d’elles. On se sentait moins obligé envers la république depuis qu’elle ne donnait plus aux citoyens les mêmes droits et qu’on intervenait moins directement dans ses affaires ; on en était moins fier, on ne se souciait plus autant de l’embellir, on songeait moins à elle et plus à soi ; l’argent qui n’était plus destiné aux monumens publics, on le garda pour décorer sa maison, dont on fit le centre de son existence. Les peintres naturellement flattèrent ce goût nouveau, dont ils devaient profiter. « On peut distinguer, dit Letronne[1], deux momens principaux dans l’histoire de l’art grec: celui pendant lequel il fut consacré uniquement à entretenir la foi religieuse par les images des dieux et la peinture de leurs bienfaits, à réveiller le patriotisme des citoyens par le spectacle toujours vivant des grandes actions de leurs ancêtres, où, par conséquent, chaque production de l’artiste avait sa destination et sa place marquée d’avance, et celui où l’art

  1. Dans ses Lettres d’un antiquaire à un artiste.