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gloire de le comprendre. Ovide n’était pas un de ces regratteurs de syllabes, un de ces délicats qui ne se contentent jamais. Il avait l’imagination vive et la main rapide ; c’était son plaisir et son talent d’improviser. Il charma cette société non-seulement en suivant ses goûts et en flattant ses caprices, mais en l’éblouissant sans cesse d’ouvrages nouveaux. On peut dire de lui aussi qu’il remplace ces « tableaux d’appartement » de l’école alexandrine, si soignés, si léchés, par des fresques hardies, pleines de négligences et de défauts choquans, mais où l’on trouve une fécondité de ressources, une richesse de détails, une rapidité d’exécution qui séduisent les plus difficiles. — C’est une ressemblance de plus avec les peintres de Pompéi.

Mais ces peintres et ces poètes ne se ressemblent pas toujours. Il y a aussi quelques différences entre eux qu’il faut signaler avec soin, car elles achèvent de les faire bien connaître. Je ne veux pas parler seulement de celles qui sont la conséquence des conditions diverses de leurs arts : ils n’y pouvaient pas échapper, et elles se reproduisent partout. Quand Horace dit que la poésie est comme la peinture, — ut pictura poesis, — il n’entend pas exprimer une vérité absolue et qui ne souffre pas d’exception. Il savait bien, ce fin critique, que, si leur but est semblable, elles suivent des routes différentes pour y arriver. La peinture, qui travaille directement pour les yeux, est bien forcée de donner aux personnages de belles attitudes. Elle ne peut rien présenter au regard qui le choque, car l’image ne s’effaçant pas, l’impression durerait et deviendrait plus fâcheuse par sa durée même, le poète au contraire, qui s’adresse à l’imagination et peint d’un trait, peut se permettre des fantaisies qu’on ne pardonnerait pas au peintre. Je n’en veux prendre qu’un exemple. La légende racontait qu’Io avait été changée en vache ; c’est sous cette forme qu’elle est poursuivie par la colère de Junon, qui la met sous la garde vigilante d’Argus, le berger aux cent yeux. Ovide accepte la légende comme elle est, il n’y change et n’y cache rien ; au contraire, elle l’amuse et il s’y complaît ; ce qu’elle a de bizarre est précisément ce qu’il développe avec le plus de complaisance. Il dépeint la malheureuse Io qui n’a pas encore conscience de sa métamorphose : « Elle veut implorer son gardien et lui tendre les bras ; mais elle ne se trouve plus de bras qu’elle puisse tendre vers lui[1]. Elle essaie de parler, et ses paroles sont des mugissemens qui lui font peur. Elle s’approche d’une fontaine où, dans les temps plus heureux, elle avait coutume de se mirer, mais, dès qu’elle aperçoit ses cornes, elle s’enfuit épouvantée devant son image. » Tout cela est dit finement, avec un ton d’ironie fort

  1. Illa etiam supplex Argo quum brachia vellet
    Tendere, non habuit quæ brachia tenderet Argo.