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nous dans les nombreux dessins, dans les gravures et les tableaux que Rembrandt a faits d’après elle. Voici d’abord le grand portrait de Cassel, peint avec un soin extrême, sans doute aux environs de leur mariage, mais qui cependant ne porte ni date, ni signature. Apparemment, c’est à Saskia elle-même qu’il était destiné (il provient en effet de sa famille), et il n’était guère besoin d’en attester l’authenticité; l’œuvre l’affirmait elle-même. La jeune femme est vue de profil, coiffée d’un large chapeau de velours écarlate qu’ombrage une plume blanche. Le nez droit, un peu gros du bout, la bouche pincée, le menton légèrement renflé, forment un ensemble plus piquant que régulier. Les traits n’ont pas grande beauté, mais l’air mutin de ces petits yeux, la fraîcheur des lèvres, l’éclat du teint, le modelé délicat du front, leur prêtent un charme irrésistible de jeunesse et de vivacité. Les cheveux frisottés, rebelles, ardens comme ceux du peintre lui-même, s’échappent capricieusement de la toque. Le costume est d’une richesse extrême : une pelisse de fourrures jetée négligemment sur un corsage de velours rouge et rattachée par une cordelière avec de grosses agrafes en or bruni; un collier de perles de prix qui s’étale sur une chemisette couverte de broderies d’or et d’argent d’un travail très compliqué; des bracelets, une chaîne d’or dans les cheveux et de grosses perles aux oreilles; tout cela d’un goût plutôt italien que hollandais. Dans cet accoutrement pittoresque, mais un peu surchargé, on sent l’époux é{)ris qui n’épargne rien pour parer celle qu’il aime. La peinture est étudiée minutieusement et toute cette joaillerie détaillée pièce à pièce. Pour être moins clairvoyant que d’habitude, l’œil du peintre se résigne cependant aux sacrifices nécessaires et, afin de reporter toute l’attention sur le frais visage, le bas de la toile a été noyé dans une ombre transparente. Hélas! qu’elle est mignonne cette frêle créature! Si mignonne qu’avec ses vingt-deux ans elle paraît une enfant. Quel contraste avec Rembrandt tel qu’il se montre dans les nombreux portraits que nous avons de lui à cette époque, au Louvre, à Berlin, à Florence, à Cassel même où nous le voyons presque de face, le visage éclairé et ombré fortement, avec sa solide charpente, son gros nez épaté, ses lèvres épaisses, ses cheveux crépus, sa moustache en broussailles, avec le regard interrogateur et pénétrant de ces yeux au-dessus desquels la concentration de la volonté a creusé des plis et qui, suivant l’expression de M. Vosmaer « couvent la lumière et se rétrécissent comme des griffes pour saisir les formes et les effets! » Le travestissement guerrier, — casque à plumes, hausse-col et manteau rougeâtre, — est en parfait accord avec l’aspect de ce visage énergique. Fidèle à ses habitudes laborieuses, le maître poursuit ainsi obstinément son