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des groupes, par leur silhouette, par la vivacité du geste ou les contrastes violens de la lumière que le peintre cherche à expliquer sa pensée.

Au moment où nous sommes, vers 1638, il commence à augmenter la dimension de ses personnages, mais il apporte parfois dans ses interprétations du texte sacré les défauts de goût et les bizarreries que nous avons signalées à propos du Ganymède. L’histoire de Samson, qui l’a souvent inspiré, nous en fournit un double exemple; mais nous ne nous arrêterons pas à cette composition du Samson terrassé par les Philistins, dont le musée de Cassel ne possède, au reste, qu’une copie assez médiocre[1]. La scène, tout à la fois horrible et ridicule, nous montre le héros qui se débat sanglant, défiguré par une plaie béante, impuissant contre les ennemis difformes qui le garrottent et qui s’acharnent après lui pendant que Dalila, une poignée de cheveux à la main, s’échappe de cette bagarre. La jovialité de l’autre épisode, le Festin de Samson, n’est pas d’un goût moins équivoque. Le repas est servi dans une salle aux magnifiques tentures ; une aiguière et un grand bassin à rafraîchir se voient dans un coin, et sur la table est posé un surtout d’or, surmonté d’un large plateau où baignent quelques Atours. On touche sans doute à la fin de ce singulier gala qui, suivant la Bible, s’était prolongé pendant sept jours; à en juger par l’attitude des convives et le débraillé de leur tenue, ils se sont un peu trop écartés de la sobriété proverbiale de l’Orient. Rangés autour de la table, sur des chaises ou des bancs couverts de riches tapis, ils se livrent sans vergogne à leurs ébats. Au premier plan, un gaillard plus entreprenant se permet avec sa voisine des privautés un peu risquées; une autre de ces dames, que son galant presse instamment de boire, témoigne qu’elle ne saurait, sans danger, poursuivre ses libations. Presque au centre, la fille des Philistins, le diadème au front, chargée de colliers et de bijoux, parée comme une châsse et les mains croisées béatement sur son ventre, assiste impassible à la fête. A côté, mais lui montrant presque le dos, Samson paraît fort peu se soucier d’elle. Une couronne de feuillage est posée sur ses longs cheveux tombans, et son vêtement, fait d’une étoffe verte brodée d’or et de pierreries, découvre sa large poitrine. Il se retourne vers des gens placés derrière lai, des musiciens travestis en Turcs de carnaval, auxquels avec un geste vulgaire il propose ses énigmes. Vous diriez un hercule forain s’entretenant familièrement avec son orchestre. On se demande ce qui a pu tenter le

  1. L’original fait partie de la collection des comtes de Schœnbronn. Au musée de Brunswick se trouve une reproduction presque identique de ce tableau, peinte par Victors, un élève de Rembrandt.