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école disparaissait; une autre allait éclore. Qu’était-ce donc que ce Ch. Fourier qui allait recueillir l’héritage du saint-simonisme, et dont l’école, pendant quinze ou dix-huit années, devait jeter un si grand éclat?

Si l’on considère les dates, on peut dire que, pour le bruit extérieur, la propagande, l’organisation sectaire, l’école de Fourier en tant qu’école est postérieure à celle de Saint-Simon. Mais, pour ce qui est de la conception même de Ch. Fourier, et de ses plans de rénovation sociale, il doit être considéré comme antérieur à Saint-Simon, et il ne dérive de lui à aucun degré, à aucun point de vue. Saint-Simon en effet n’a rien écrit sur l’ordre social avant 1814, et ses premiers plans de réorganisation sont de 1817. Jusque-là, il ne s’était occupé que de philosophie scientifique; dans son Introduction aux travaux scientifiques du XIXe siècle, dans son Mémoire sur l’homme, il ne faisait autre chose que continuer Bacon et d’Alembert, en préparant Auguste Comte. Charles Fourier, au contraire, dès 1808, avait jeté les bases de son système social, qui dès lors était déjà entièrement arrêté dans son esprit. L’originalité de Fourier est donc incontestable. Mais il était resté jusque-là un penseur isolé, sans action et sans lecteurs. Il avait assisté, en spectateur ironique, aux saturnales mystagogiques du saint-simonisme et s’était refusé aux avances d’Enfantin, sans avoir lui-même ni école, ni disciple. Il est probable que sans l’ébranlement causé par le saint-simonisme, il fût resté dans cet isolement, ne laissant après lui que la réputation d’un utopiste à moitié fou, d’un penseur bizarre et solitaire, recherché peut-être des curieux, ignoré de la foule. Mais la parole enflammée des saint-simoniens avait mis le feu aux esprits : l’imagination des jeunes gens attendait quelque chose. La chute d’une utopie ne devait pas de sitôt décourager de l’esprit d’utopie : on crut seulement qu’on s’y était mal pris, qu’on s’était trompé sur la solution, qu’il fallait en chercher une autre. Il y en avait là une toute prête : on dut passer de l’une à l’autre; et ceux qui étaient arrivés trop tard pour avoir eu le temps de s’émouvoir pour l’un de ces rêves se trouvèrent tout prêts pour en adopter et en propager un nouveau.


I.

La différence des deux systèmes, fouriériste et saint-simonien, tient en grande partie à la différence des deux génies et des deux hommes. Signalons d’abord ce qu’ils ont de commun. C’est une aversion très grande, plus grande encore chez Fourier que chez Saint-Simon, contre le parti révolutionnaire ; le socialisme, qui se présente aujourd’hui aux yeux du vulgaire comme l’expression de