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il en donne même une démonstration originale, fondée sur ce théorème : « Les attractions sont proportionnelles aux destinées.» Les désirs de l’homme sont infinis, la durée de son existence doit l’être également : démonstration fort analogue à celle que M. Jouffroy a donnée plus tard dans son Cours de droit naturel. Mais, tout en admettant la vie future, Fourier n’y voit qu’un résultat de la nature des choses, et non une compensation pour les maux que les hommes subissent ici-bas.

Ces maux sont l’œuvre de la civilisation. La civilisation, voilà le grand coupable. On reconnaît ici dans Fourier un élève de Rousseau. Il est le seul des philosophes qui ait pris à la lettre et poussé à l’excès les anathèmes de Jean-Jacques contre la civilisation. Le pessimisme de celui-ci n’avait guère produit que des optimistes. Tous ou presque tous avaient oublié les critiques amères et les violentes déclamations du citoyen de Genève contre la corruption et la décadence des mœurs, pour ne s’attacher qu’aux tendances idéales de l’Emile et du Contrat social. La révolution elle-même, dans ses momens de plus grande cruauté, était optimiste, et croyait toujours que le mal allait céder sa place au bien. Fourier, plus fidèle à la pensée de Rousseau, prend à partie la civilisation tout entière, aussi bien dans ses rêves de fausse perfectibilité que dans ses maux héréditaires. C’est le mal tout entier qu’il faut extirper, et cela en détruisant la « civilisation » pour y substituer « l’harmonie. » Dieu a fait l’homme pour être heureux et pour l’être ici-bas. Il suffit pour cela d’étudier les lois de la nature et d’appliquer les principes de l’attraction passionnelle.

La question du mal est donc résolue. Dieu avait établi pour l’homme un code naturel, qu’il fallait chercher et se contenter de reconnaître et d’appliquer. La raison abstraite et orgueilleuse a mieux aimé s’attribuer à elle-même l’empire. Que ce code soit révélé, et le mal cédera la place au bien.

Il reste toutefois une objection. Que faire des hommes qui nous ont précédés et qui ont été malheureux? Fourier n’est pas embarrassé de cette objection. Les périodes de calamité, selon lui, ne sont rien en comparaison des périodes bienheureuses que l’humanité a à parcourir. « Que sont, dit-il, quatre à cinq mille ans de misère pour quatre-vingt mille de bonheur?» Si Fourier eût su que l’on donnerait bientôt presque deux cent mille ans d’existence à l’humanité, il s’en serait tiré probablement en attribuant des millions d’années aux périodes harmoniques, car il ne s’embarrassait pas pour si peu.

De même que Fourier donnait, on vient de le voir, une solution originale au problème du mal, en nous promettant sur la terre une sorte de paradis de Mahomet, il donnait aussi une solution nouvelle