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ordinaire du genre. Le premier acte de Robert le Diable, au seul point de vue du théâtre, a de la valeur ; que de choses dans ce prologue! les événemens, les caractères exposés en quelques mots clairs et rapides. Là se trahit la force de Scribe, l’art scénique mis au service de la musique, ajoutons qu’il n’en donne pas davantage; de poésie, pas une étincelle; les vers sont plats, la couleur nulle; au lieu d’Auber (l’Auber de la Muette), au lieu de Meyerbeer, supposez tels musiciens d’école, tels partitionnaires, et la conception définitive avortera faute d’imagination, de poésie. Au besoin, la donnée primitive du troisième acte de Robert le Diable suffirait pour juger le procès. Scribe ne s’était-il pas avisé d’évoquer à cette occasion ses vieux souvenirs de collège : nymphes, dryades, hamadryades et jardins d’Armide? Meyerbeer vient, souffle sur ce clinquant et ce poncif, et, s’inspirant de l’esprit du moyen âge qui règne à cette heure, il écrit sa Notre-Dame de Paris, comme Auber écrit sa Marseillaise aux approches de la révolution de Juillet. Pour les Huguenots, même aventure, mais avec plus de complications, plus de tirage. Des exigences à n’en pas finir, tout un rôle nouveau (celui de Marcel) auquel il n’avait point songé et dont on l’encombrait sous prétexte de nécessités historiques et autres; du catholicisme et du protestantisme, il ne s’en souciait ni en musique, ni en peinture et n’en voulait qu’à la recette.

Auber est un écrivain, et qui plus est, un écrivain français dans la meilleure acception du terme; il a dans sa musique toutes les qualités littéraires qui nous sont propres : l’esprit, la clarté, l’élégance, la sobriété, il sait écrire et se borner, et si la sensibilité souvent lui manque, cela tient à ce qu’en même temps que nos qualités, il a aussi nos défauts. Auber est un écrivain et un artiste, il a du génie et de la race; Scribe est moins un génie qu’une puissance; son démon l’agile et lui souffle à l’oreille, comme au Juif errant : Marche! marche! « Je n’ai pas le temps d’être correct, » disait-il, pour excuser son mauvais style, il n’avait pas davantage le temps d’observer, il lui fallait tout deviner. En dehors de ce salon banal d’agent de change, qui représente dans son théâtre littéraire le vestibule de la tragédie classique et où se passent ses pièces du Gymnase et ses comédies en habit noir, vous ne savez dans quelle atmosphère ses personnages vivent et se meuvent; ni l’histoire ni les mœurs du pays ne les gouvernent. A quelle mythologie appartiennent les êtres surnaturels qu’il évoque? Du diable si jamais il s’en inquiéta. Pour lui, l’ombre de Banquo, la statue du Commandeur, sont des revenans ; ses fées se mettent sous la protection de la sainte Vierge, et si Meyerbeer n’eût passé par là, il y aurait eu des nymphes, des dryades et des hamadryades plein le troisième