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porté au plus haut point, en sorte qu’on peut dire que le mot sublime du matin d’Eylau fut, non l’heureuse inspiration d’une heure terrible, mais l’expression laconique de ce qui fut le catéchisme militaire de toute sa vie. Voici le récit de cette affaire, où, sans blâmer ouvertement le commandant de la place, le jeune général le stigmatise d’un dédain voilé en accolant à son titre militaire le titre de monsieur, comme César, un jour qu’il avait à se plaindre d’une légion, ne trouva pas de meilleur moyen d’en punir les soldats que de les flageller du nom de Quirites.


« Je vous invite, mon camarade, à me faire connaître ce qui pourra venir à votre connaissance sur l’armée du grand-vizir, qui, comme vous en êtes sans doute déjà instruit, s’est emparé d’El-Arisch, le 9 de ce mois, après un siège de huit jours ; mais son armée, au lieu d’exécuter la capitulation et de laisser sortir et retirer tranquillement sur Kadish les Français qui défendaient le fort, s’est rejetée sur cette malheureuse garnison, qui a été assassinée, à l’exception d’une centaine d’hommes que l’on a faits prisonniers. Un soldat de cette garnison, voyant cette infâme trahison, a été mettre le feu au magasin à poudre et a donné la mort, parce généreux dévoûment, à plus de deux mille de ces brigands qui, par leur conduite, ont appris à ceux d’entre nous qui seraient assez lâches pour se rendre dans les combats que nous pourrons avoir avec eux le sort qui nous est réservé.

« Le chef de bataillon Grandpéré a été du nombre des assassinés; les Turcs ont poussé la cruauté, auparavant de lui couper la tête, jusqu’à lui faire faire plusieurs fois le tour du fort entièrement nu et en le frappant à chaque pas; quelques autres officiers des plus distingués de cette garnison ont eu un pareil sort. Le commandant de place, M. Gazai, n’a pas été assez heureux pour avoir ce traitement : il a survécu à son déshonneur.

« Lorsque cet officier a pris sur lui de capituler, le fort était encore sans brèche, et il n’avait eu que vingt hommes tués ou blessés depuis le commencement du siège. Les Turcs n’auraient peut-être jamais pu parvenir à faire une brèche, puisqu’ils n’avaient que du 8, du 3 et du 5.»


Revenu en France avec Desaix après la bataille d’Héliopolis, Davout se trouvait marqué d’avance pour un des grands rôles du régime inauguré par le 18 brumaire. Dès le premier jour, Bonaparte eut les yeux sur lui et mit la main à sa fortune. Nous ne voulons pas parler seulement de tous les titres dont Davout fut investi successivement pendant les années du consulat, commandant en second de la garde des consuls, général de division, bientôt maréchal de France, mais d’une faveur tout autrement rare, qui montrait assez en quelle estime le nouveau maître de la France