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regardait bien en face; » mais, même avec cette atténuation, nous repoussons une telle hypothèse. Le machiavélisme de Bonaparte, — il en eut un, — fut un machiavélisme de tête, qui, il faut le dire à sa louange, ne descendit jamais dans son cœur, et qui, tout en le rendant capable d’une certaine jactance d’inhumanité, ne se traduisit jamais par de froides méchancetés ou des noirceurs de parti pris. Pour être juste à cet égard pour Bonaparte, il faut toujours se rapporter à cette parole d’un vrai libéral, Sismondi, dans une de ses lettres à la comtesse d’Albany : « J’ai l’expérience de l’histoire, et je vous déclare que je n’y ai jamais rencontré de fondateur de dynastie ou de gouvernement qui ait moins versé le sang par politique. » Ce jugement nous paraît l’équité même; tenons-nous-y jusqu’à révélation du contraire, car l’impartiale histoire n’a pas la complaisance des passions et ne se paie pas d’hypothèses.

A l’époque de son mariage, 1801, Davout était général de division, commandant la cavalerie de l’armée d’Italie, et c’est en cette qualité qu’il prit part à la bataille de Marengo. Parmi les papiers qui se rapportent à cette époque, nous trouvons une pièce singulièrement caractéristique en ce qu’elle témoigne ouvertement, et cette fois sans réserve ni réticence, de cette confiance invincible en lui-même que nous avons déjà notée comme un des traits les plus essentiels de Davout. C’est une pièce adressée de Milan, à la date du 19 thermidor an VIII, au ministre de la guerre, et relative à certains arrêtés de l’autorité militaire supérieure qui scindaient le commandement dont il avait été investi; la pièce vaut d’être citée tout entière, tant elle donne le ton juste de cette âme née pour le commandement :


« J’ai l’honneur de vous rendre compte que je suis arrivé depuis le commencement de ce mois à cette armée, et que l’arrêté qui me donne le commandement de la cavalerie n’a eu son exécution qu’en partie.

« L’intention primitive du général Masséna a été de l’exécuter, mais le général Laboissière à qui le général en chef avait déjà donné le commandement, a représenté qu’il était très ancien général de division. Le général Masséna a adopté un tempérament auquel j’ai cru devoir me soumettre en ce qu’il a l’air de reconnaître l’arrêté du gouvernement qui me concerne et de lui obéir. Il a donné au général Laboissière le commandement de la réserve de cavalerie, composée de la grosse cavalerie de l’armée. Ce général ne doit correspondre qu’avec le général en chef; cependant en ligne je commanderai toute la cavalerie; hors cette circonstance, je ne commande que les hussards, chasseurs et dragons.

« Il ne m’appartient point, citoyen ministre, d’examiner si ce tempérament peut être nuisible au service, j’ai accédé par les raisons que je viens de déduire. J’avais observé au général en chef que, s’il tranchait