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d’Iéna le porta-t-elle à accueillir comme fondés les soupçons que la malveillance faisait courir sur les projets de Davout? le capitaine victorieux qui se sentait grandi ouvrit-il réellement son cœur à l’ambition, rêva-t-il sérieusement un trône et eut-il l’espérance que la main de l’empereur l’aiderait à s’y asseoir? Dans tout ce qui nous est dit à ce sujet, nous ne voyons rien d’assez précis pour autoriser autre chose que des conjectures; un fait seul est positif, c’est que Davout se déclara ouvertement pour la reconstitution de la Pologne et que l’empereur fit obstinément la sourde oreille à tout projet de ce genre. Si Davout avait eu d’ailleurs les velléités ambitieuses qu’on lui prêtait, il se serait bien vite aperçu qu’il y avait un obstacle insurmontable à ses visées dans le commandement qu’il exerçait en Pologne. De qui le tenait-il en effet? De l’empereur, qui était défavorable à la reconstitution polonaise, en sorte que Davout se trouvait par sa position obligé de décourager des espérances qui lui apparaissaient comme sacrées et de combattre les idées même dont il s’était déclaré partisan. Les contrariétés de cette fausse situation sont si vives qu’elles lui arrachent à lui, l’homme ferme et circonspect par excellence, un cri de dégoût et de lassitude. « Crois qu’à l’avenir je serai plus exact, puisque tu attaches autant d’importance à recevoir de mes nouvelles, écrit-il à la maréchale à la date de novembre 1807. Je n’aimais pas à t’en donner lorsque je me trouvais dans un de ces momens de contrariété, parce que mon style s’en ressentait et devait alors t’affecter; mais lorsque j’y serai, je ne t’entretiendrai que de moi et je serai laconique. Depuis un mois j’en éprouve du reste beaucoup moins. C’est malgré cela un rude métier que je fais, parce que l’empereur l’a voulu, et qui est bien peu dans mes goûts. » il est évident qu’il y a à cette époque entre ces deux âmes un état d’hostilité sourde qui se traduit chez Davout par un stoïcisme amer, et chez Napoléon par de brusques rudesses et un ton de froid mécontentement. Par exemple, Davout ayant cru devoir faire remarquer au maître l’insuffisance de ressources dans laquelle certaines réductions nouvellement opérées vont le laisser pour couvrir les frais de sa maison militaire, l’empereur lui répond sèchement que sa dotation bien administrée doit rapporter 300,000 francs, tandis que celle du maréchal Lannes ne produit que 150,000 francs. Eh bien, qui le croirait ? l’effet le plus certain de cette mésintelligence est de faire apparaître sous un jour plus éclatant la fidélité de Davout. Il faut citer, pour faire comprendre à quel point cette fidélité est admirable, quelques fragmens des lettres de ces deux années 1807, 1808. Rien ne peut l’ébranler, ni l’injustice des soupçons, ni la fausseté des accusations, ni la perspective même d’une disgrâce possible. L’empereur fùt-il inique envers lui, son dévoûment restera