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si malheureuse personne. Mais elle montra un peu d’effroi d’aborder l’empereur dans un moment où il était si mécontent.

« Si Moreau, me dit-elle, eût été condamné, je serais plus sûre de notre succès; mais il est dans une si grande colère que je crains qu’il ne nous repousse, et qu’il ne vous sache mauvais gré de la démarche que vous allez me faire faire. » J’étais trop émue de l’état et des larmes de Mme de Polignac pour qu’une pareille considération m’arrêtât, et je fis de mon mieux à l’impératrice la peinture de l’impression que ces jugemens avaient produite à Paris. Je lui rappelai la mort du duc d’Enghien, je lui représentai son élévation au trône impérial tout environnée d’exécutions sanglantes, et l’effroi général qui serait apaisé par un acte de clémence que du moins on pourrait citer à côté de tant de sévérités.

Tandis que je lui parlais ainsi avec toute la chaleur dont j’étais capable et sans pouvoir retenir mes larmes, l’empereur entra tout à coup dans la chambre, arrivant, selon sa coutume, par une terrasse extérieure qui lui servait souvent le matin à venir ainsi se reposer près de sa femme. Il nous trouva toutes deux fort émues; dans un autre moment, sa présence m’eût rendue interdite, mais, le profond attendrissement que j’éprouvais l’emportant sur toutes considérations, je répondis à ses questions par l’aveu de ce que j’avais osé faire, et comme l’impératrice vit son visage devenir fort sévère, elle n’hésita point à me soutenir, en lui déclarant qu’elle avait consenti à recevoir Mme de Polignac.

L’empereur commença par nous refuser de l’entendre et par se plaindre que nous allions le mettre dans l’embarras d’une position qui lui donnerait l’attitude de la cruauté. « Je ne verrai point cette femme, me dit-il. Je ne puis faire grâce; vous ne voyez pas que ce parti royaliste est plein de jeunes imprudens qui recommenceront sans cesse si on ne les contient par une forte leçon. Les Bourbons sont crédules; ils croient aux assurances que leur donnent certains intrigans qui les trompent sur le véritable esprit public de la France, et ils m’enverront ici une foule de victimes. »

Cette réponse ne m’arrêta point, j’étais exaltée à l’excès, et par l’événement même, et peut-être aussi par le petit danger que je courais d’avoir déplu à ce maître redoutable. Je ne voulais pas avoir à mes propres yeux le tort de reculer par considération personnelle, et ce sentiment me rendit courageuse et tenace. Je m’échauffai beaucoup, au point que l’empereur, qui m’écoutait en se promenant à pas précipités dans la chambre, s’arrêta tout à coup devant moi, et, me regardant fixement : « Quel intérêt prenez-vous donc à ces gens-là? me dit-il; vous n’êtes excusable que s’ils sont vos parens. — Sire, repris-je avec le plus de fermeté que je pus en trouver au dedans de moi, je ne les connais point, et jusqu’à hier