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qu’elle soupçonnait. A Saint-Cloud, l’empereur occupait l’appartement qui donne sur le jardin et qui est de plain-pied avec lui. Au-dessus de cet appartement, il avait fait meubler un petit logement particulier qui communiquait avec le sien par un escalier dérobé. L’impératrice avait quelque raison de craindre la destination de cette retraite mystérieuse. Un matin qu’il se trouvait assez de monde dans son salon (Mme de *** étant établie depuis quelques jours à Saint-Cloud), l’impératrice, la voyant sortir tout à coup de l’appartement, se lève peu d’instans après son départ, et me prenant dans l’embrasure d’une fenêtre : « Je vais, me dit-elle, éclaircir tout à l’heure mes soupçons : demeurez dans ce salon avec tout mon cercle, et, si on cherche ce que je suis devenue, vous direz que l’empereur m’a demandée. » J’essayai de la retenir, mais elle était hors d’elle-même, et ne m’écouta point; elle sortit au même moment, et je demeurai très inquiète de ce qui allait se passer. Au bout d’une demi-heure d’absence, elle rentra brusquement par la porte de son appartement opposée à celle par où elle était sortie; elle paraissait fort émue et pouvait à peine se contraindre, elle se rassit à un métier qui était dans le salon. Je me tenais loin d’elle, occupée de quelque ouvrage et évitant de la regarder; mais je m’apercevais facilement de son trouble à la précipitation de tous ses mouvemens, habituellement si doux.

Enfin, comme elle était incapable de garder en silence une forte émotion quelle qu’elle fût, elle ne put demeurer longtemps dans cette contrainte, et, m’appelant à haute voix, elle m’ordonna de la suivre, et dès qu’elle fut dans sa chambre : « Tout est perdu, me dit-elle; ce que j’avais prévu n’est que trop avéré. J’ai été chercher l’empereur dans son cabinet, il n’y était point; alors je suis montée par l’escalier dérobé dans le petit appartement; j’en ai trouvé la porte fermée, et au travers de la serrure j’ai entendu les voix de Bonaparte et de Mme de ***. J’ai frappé fortement en me nommant; vous concevez le trouble que je leur ai causé; ils ont fort tardé à m’ouvrir, et quand ils l’ont fait, l’état dans lequel ils étaient tous deux et leur désordre ne m’ont pas laissé le moindre doute. Je sais bien que j’aurais dû me contraindre; mais il ne m’a pas été possible; j’ai éclaté en reproches. Mme de *** s’est mise à pleurer, Bonaparte est entré dans une colère si violente que j’ai eu à peine le temps de m’enfuir pour échapper à son ressentiment. En vérité, j’en suis encore tremblante, car je ne sais à quel excès il l’aurait porté. Sans doute, il va venir, et je m’attends à une terrible scène. » L’émotion de l’impératrice excita la mienne, comme on peut bien le penser. « Ne faites pas, lui dis-je, une seconde faute, car l’empereur ne vous pardonnerait pas d’avoir mis qui que ce soit dans