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Peel, d’ordinaire fort peu démonstratif, fut un de ceux qui applaudirent le plus souvent et avec le plus de vivacité. M. Disraeli alla donc jusqu’au bout de son discours; mais il est évident, pour qui sait lire, qu’il s’était tracé un cadre trop étendu et que, vaincu par la fatigue, il n’a pu donner à sa pensée tout le développement qu’il avait projeté. Les témoignages contemporains attestent également que, la ténacité de l’orateur surexcitant l’animosité de ses adversaires, sa voix fut plusieurs fois couverte par des clameurs au milieu desquelles elle se perdait. Quant à la phrase célèbre par laquelle il termina son discours, en voici le texte d’après Hansard : « Pour bien des choses j’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois, et j’ai souvent fini par réussir. Je m’arrête pour aujourd’hui, mais le temps viendra où vous m’écouterez. » On sait si cette fière prédiction s’est accomplie.

L’accueil fait à M. Disraeli était d’autant plus propre à le décourager, qu’il est de tradition, dans les deux chambres du parlement, de témoigner une grande bienveillance aux orateurs qui débutent. Pourtant, loin de se laisser abattre, il ne vit dans sa mésaventure qu’une leçon dont il devait faire son profit. Il comprit la nécessité de s’abstenir de parler longuement jusqu’à ce qu’il eût acquis l’oreille de la chambre, de modérer l’exubérance de ses gestes et de corriger certaines intonations de sa voix. Sept jours après son premier discours, il prenait de nouveau la parole, mais dans un débat où personne ne pouvait contester sa compétence, pour appuyer la présentation du bill de M. Talfourd sur la propriété littéraire. Il parla un peu plus longuement au cours de la seconde lecture de ce bill, invoquant l’exemple d’écrivains éminens dont la vie, comme celle de Southey, n’avait été qu’une longue lutte contre la pauvreté, tandis que leurs œuvres enrichissaient les libraires. Les engagemens qu’il avait pris vis-à-vis des électeurs lui faisaient une obligation de se prononcer contre la motion par laquelle M. Villiers demandait annuellement l’abolition des droits d’entrée sur les céréales. Il le fit dans un discours très court et très simple, où il s’efforça de démontrer que l’existence des Corn Laws n’était pas préjudiciable à l’industrie manufacturière, parce que le renchérissement que ces lois pouvaient produire dans le prix du pain ne représentait qu’une fraction infinitésimale des salaires habituels. Une courte protestation contre le principe d’un bill sur l’administration municipale en Irlande, qu’il considérait comme un pas vers la centralisation, fut son dernier effort pour cette année.

Dès la session de 1839, il se sentit plus sûr de son terrain et prit plus souvent la parole. Le ministère ayant présenté de nouveau le bill sur les municipalités irlandaises, M. Disraeli, dans un discours qui obtint l’approbation et les applaudissemens d’O’Connell,