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ne s’attaquait ni à la royauté, ni à la propriété. Fait digne de remarque, ce n’était pas à titre d’innovations que les chartistes demandaient les parlemens annuels, le suffrage universel et le scrutin secret : ils prétendaient ne réclamer que le rétablissement de l’ancien état des choses, que la restitution de leurs droits historiques. Le chartisme était donc dirigé uniquement contre le gouvernement exclusif et égoïste des classes moyennes.

Que fallait-il faire ? Disperser à coups de fusil les meetings chartistes, remplir les prisons? Non, il fallait apaiser les souffrances qui donnaient un fondement légitime à cette agitation. Au lieu d’abandonner les ouvriers à eux-mêmes et de les livrer en proie aux agitateurs et aux démagogues, il fallait s’occuper d’eux, les soulager, faire appel à leur conscience, mériter leur confiance et se faire leurs guides.

Ce rôle de protecteurs, de conseillers et de guides du pauvre, à qui appartenait-il, sinon aux propriétaires du sol, à cette aristocratie terrienne qui l’avait rempli de temps immémorial? N’était-ce pas en vue de ce rôle qu’elle avait reçu les privilèges et les droits politiques dont elle était investie et qui lui avait été conférés, non pour elle-même, mais pour le bien de la nation ? Pourquoi avait-elle abandonné cette tâche, qui était la plus noble part de son héritage? Ses inquiétudes et ses dangers n’avaient d’autre origine que cet oubli des devoirs qui s’imposent à toute aristocratie.

Il fallait donc que l’aristocratie, rajeunie et retrempée par le sentiment du devoir, revînt à sa mission traditionnelle. Il fallait qu’elle se mît à la tête de toutes les œuvres utiles, qu’on s’accoutumât de nouveau à la voir toujours en avant dans la voie du bien à faire, qu’on pût compter sur son concours et qu’on reprît l’habitude de le solliciter. Pourquoi ne pas réviser et ne pas adoucir la législation sur le paupérisme de façon à tenir compte des droits de la famille et à ne plus briser des liens sacrés? Pourquoi la législation serait-elle faite uniquement au profit et en vue des intérêts d’une seule classe ? Pourquoi ne pas protéger l’enfance contre un labeur au-dessus de ses forces? Pourquoi ne pas interposer la loi entre les travailleurs et ceux qui seraient tentés de les exploiter ? Pourquoi la durée de la journée ne serait-elle pas limitée, de façon à ménager les forces physiques de ceux dont le travail est la seule ressource? Pourquoi ne pas assurer aux ouvriers les moyens de débattre librement leurs salaires et de régler les questions qui les intéressent sur le pied d’égalité avec la féodalité industrielle ? Si les ouvriers voyaient qu’on s’occupe d’eux, qu’on leur assure leur part de liberté, qu’on mut leurs droits hors d’atteinte, que la législation tend sans cesse à améliorer leur position, à accroître leur bien-être, l’agitation s’apaiserait d’elle-même, le chartisme prendrait