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du rôle que sa naissance l’appelle à jouer, qui est résolu à faire son devoir et tout son devoir, et qui n’aperçoit point devant lui de voie sûrement tracée. Il veut marcher à la lumière de la vérité ; il a besoin de s’appuyer sur des principes certains et arrêtés, et, ne trouvant point autour de lui la réponse à ses doutes, il rêve d’aller chercher cette réponse là même où la vérité a été annoncée à l’homme." « Voyant, dit-il lui-même, les choses comme elles sont ; ne dans un temps et dans un pays partagés entre l’incrédulité d’une part et l’anarchie des croyances de l’autre ; ne trouvant aucun guide compétent pour me conduire et sentant néanmoins qu’il faut que je croie, car je tiens que le devoir ne peut exister sans la foi, est-il donc aussi étrange qu’on paraît le penser, est-il déraisonnable que je souhaite faire ce qu’a fait, il y a six cents ans, l’ancêtre dont je porte le nom ? que je passe les mers pour visiter le saint-sépulcre ? »

Tancrède s’ouvre de son dessein à son père et lui en donne les raisons :

« Quand je songe que le Créateur, depuis que la lumière est sortie des ténèbres, n’a daigné se révéler à sa créature que dans une seule contrée ; que c’est là qu’il a pris la forme de notre humanité et subi une mort humaine, je ne puis m’empêcher de croire que la contrée sanctifiée par ces rapports avec Dieu et par de tels événemens doit être investie de privilèges merveilleux et spéciaux que l’homme peut n’être pas toujours capable de comprendre, mais qui n’en exercent pas moins une irrésistible influence sur sa destinée. C’est cette contrée qui, à plusieurs reprises, pendant le moyen âge, a attiré l’Europe en Asie… Le temps est venu de rétablir et de renouveler nos communications avec le Très-Haut. Moi aussi, je veux m’agenouiller auprès du saint tombeau ! Moi aussi, je veux, à l’ombre des collines augustes et des arbres sacrés de Jérusalem, soulager mon cœur du poids qui l’oppresse ; je veux élever ma voix vers le ciel et lui demander : « Où est le Devoir ? où est la Foi ? Que dois-je faire et que faut-il que je croie ? »

On a malicieusement remarqué, et c’est la critique la plus spirituelle qu’on ait adressée à Tancrède, que le jeune enthousiaste, en quête d’un guide spirituel, ne s’adresse ni à un évêque anglican, ni à un ministre d’aucun culte, mais qu’il s’en va tout droit dans la cité trouver un banquier, et un banquier Israélite. On voit reparaître ici un des personnages épisodiques de Coningsby, le banquier Sidonia, qui se prétend d’une noblesse égale à celle des plus anciennes et plus illustres maisons et qui croit à la supériorité de la race juive sur toutes les autres, le causeur merveilleusement doué qui a parcouru toute l’Europe et conversé avec tous les chefs de gouvernement, l’esprit sagace qui possède tous les secrets de