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pratique qui est fausse, et disons-le (puisqu’il s’agit de moralité), immorale. — Un gros mot qui fâche les amis de Diderot. La question a été, en effet, plus d’une fois discutée. Mais Diderot s’est chargé, dans la lettre que nous avons citée, de marquer le point délicat de la controverse, et, en posant si bien la question, il nous a mis en état de la résoudre contre ses amis et contre lui-même.


II.

Le Diderot que nous allons trouver dans les Élémens inédits de physiologie n’est pas le cynique, c’est l’homme d’étude, le penseur. Homme d’étude parfois ivre des libations hâtives d’une science trop neuve, penseur toujours agité par le mouvement excessif de sa pensée et comme étourdi par le bruit des idées dans son cerveau, mais sincèrement épris des découvertes nouvelles, enthousiaste des horizons réels ou imaginaires qui se révélaient à lui, prodigue d’aperçus, improvisateur merveilleux de systèmes, à certains égards le prophète de la philosophie naturaliste du XIXe siècle.

Ces Élémens sont un simple recueil de notes prises dans ses lectures, rapidement commentées, à peine classées. Les éditeurs ont raison de dire qu’elles sont certainement de dates et de provenances fort diverses, mais qu’il est probable qu’elles ont été réunies pendant le séjour de Diderot en Hollande et qu’elles ont reçu quelques additions pendant les dernières années de sa vie. Il y parle de la Hollande en disant : Ici, et dans un autre passage, à propos des ennuis de la vieillesse, il ajoute en note : « J’avais soixante-six ans quand j’écrivais cela. » De plus, il y est fait mention de l’Histoire de la chirurgie, qui ne fut achevée qu’en 1780. J’inclinerais à croire que Diderot l’entreprit vers 1766, à l’époque même où parurent à Lausanne les Elementa physiologiœ dont le philosophe français s’est tant inspiré. L’identité du titre adopté par Diderot est déjà un fait significatif. Une note des Mémoires de Naigeon rend cette hypothèse plus que probable : « Il avait lu deux fois, nous dit Naigeon, et la plume à la main, la grande Physiologie de Haller. Les extraits raisonnes qu’il en avait faits étaient en latin et en français, selon qu’il trouvait plus ou moins promptement les expressions qui correspondaient exactement aux idées de Haller. Ces extraits assez étendus ne pouvaient guère être utiles qu’à lui. Ce n’était souvent que de simples mots de réclame (sic) destinés à lui rappeler dans le besoin des idées analogues ou contraires. On y voyait quelquefois aussi, non-seulement ce que Haller avait pensé sur tels ou tels phénomènes de l’économie animale, mais même tout ce que Diderot avait conjecturé sur les causes de ces phénomènes; ces divers extraits n’existent plus; il les jeta au feu lorsqu’il eut fini les deux