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du surnaturel à l’origine des choses, aussi bien que dans la suite de l’histoire, ces deux raisons suffisent pour expliquer l’éclosion simultanée de la même théorie naturaliste dans plusieurs de ces intelligences que tentent les grandes aventures d’idée et qui croient qu’on ne peut vraiment comprendre le monde qu’en le recréant par la pensée. Mais il y a toujours de ces intelligences maîtresses dans lesquelles la conception nouvelle prend un air d’originalité décisive : c’est l’histoire de Diderot. Il était de ces esprits qui ne souffrent pas de bornes à leur puissance de concevoir et qui aiment mieux combler l’abîme par leurs conceptions même chimériques que de s’arrêter devant l’inconnu.

Lisons quelques pages de ces Élémens de physiologie, et nous serons étonnés de voir comme son imagination se déploie librement à travers tous ces grands problèmes des origines et comme ses vues se rencontrent naturellement avec celles de nos contemporains qui se sont jetés en pleine hypothèse pour échapper aux bornes trop étroites que leur assignent les faits. A supposer que le transformisme soit appelé un jour à s’établir dans la science de la nature comme une vérité démontrée, à passer de l’état d’hypothèse au rang des lois (époque qui semble bien éloignée encore), — ou bien à supposer que ce soit là une de ces brillantes et décevantes conceptions qui apparaissent à certains âges et qui après une fortune momentanée finissent par s’évanouir faute de preuves positives, dans les deux cas il est incontestable que Diderot est un précurseur et que personne avant lui n’a saisi avec cette souplesse et cette liberté d’esprit les différens aspects sous lesquels pouvait s’offrir l’idée nouvelle. Il s’enchantait de ces généralisations hardies dont il développait toutes les conséquences, et se complaisait à trouver des formules saisissantes pour les imprimer fortement dans l’intelligence de ses lecteurs futurs, qui ne devaient pas être ses contemporains, puisqu’il était résolu à ne pas publier de son vivant ce genre d’ouvrages.

Nous allons tenter de rassembler les élémens de la théorie dispersés dans une multitude de notes jetées au hasard d’une plume négligente et précipitée, et sans lien apparent entre elles[1] : Pourquoi, demande Diderot, la longue série des animaux ne serait-elle pas des développemens différens d’un seul? Camper fait naître d’un seul modèle, dont il ne fait qu’altérer la ligne faciale,

  1. Pages 253-255, 264-265. Édition Assézat et Tourneux, tome IX. Nous serons contraints, pour la clarté de cette restitution, de resserrer le texte, de changer l’ordre là où règne le plus grand désordre, et de rétablir les intermédiaires entre des aphorismes séparés. Aussi supprimerons-nous d’ordinaire les guillemets qui sont la marque convenue des citations textuelles. Mais nous certifions d’avance l’exactitude de ces réductions qui s’éloignent aussi peu que possible de la lettre du texte. Aucune division en chiffres n’était marquée dans cet amas de notes, nous devons renvoyer le lecteur, pour qu’il puisse le contrôler, à la page de l’édition nouvelle.