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nulle part, et, quand elle paraît brisée, c’est la faute ou de notre attention qui se fatigue, ou de la diversité apparente des formes qui nous trompe, ou des doctrines préconçues qui nous aveuglent.

La question de l’origine de la vie est tranchée par Diderot de la même manière qu’elle l’est aujourd’hui par les représentans du transformisme radical. Il se déclare nettement pour l’hétérogénie et les générations spontanées ; il ne manque pas de citer à l’appui les fameuses expériences de Needham sur les anguilles du grain niellé et ergoté. Il résume avec soin tous les travaux du temps sur la fermentation et les animaux microscopiques. Il y a trois degrés, selon lui, dans la fermentation : la vineuse, l’acide, la putride. Ce sont comme trois climats différens sous lesquels les générations d’animaux changent. — Il y a des générations sans nombre d’animaux par putréfaction : chaque animal donne des animaux différens, chaque partie de l’animal donne les siens. Les mêmes espèces d’animaux différens se succèdent régulièrement, selon la substance animale ou végétale mise en fermentation ou en putréfaction. Prenez des chairs grillées au feu le plus violent. Exposez les végétaux dans la machine de Papin, où les pierres se réduisent en poudre, où les plus dures se mettent en gelée : cela n’empêche pas ces substances de donner des animaux par la fermentation ou la putréfaction[1]. Il y a une sorte de génération descendante, par division, qui va peut-être jusqu’à la molécule sensible, laquelle montre, réduite à cet état, une activité prodigieuse[2]. Cette molécule sensible de Diderot ressemble singulièrement à la cellule de la physiologie contemporaine, commencement et fin de tous les organismes.

Mais là encore, il y a de la matière organique : il y en a dans la fermentation, il y en a dans la putréfaction : c’est une matière qui a vécu, qui a été saturée de vie. Peut-on poursuivre plus loin la doctrine de la transmutation des êtres ? Peut-on prolonger la chaîne des êtres jusqu’à l’inorganique? Peut-on supposer que la vie puisse éclore en dehors même de ce qui a vécu ? Diderot ne refuse pas d’aller aussi loin. Prenez l’animal, dit-il, analysez-le, ôtez-lui toutes ses modifications l’une après l’autre, et vous le réduirez à une molécule qui aura longueur, largeur, profondeur et sensibilité. Supprimez la sensibilité, il ne vous restera que la molécule inerte. Mais si vous commencez par soustraire les trois dimensions, la sensibilité disparaît. Diderot ne doute pas qu’on

  1. On connaît les belles expériences par lesquelles M. Pasteur a détruit l’illusion de ces phénomènes apparens et réduit ces créations spontanées d’organismes élémentaires à l’action des germes organiques contenus dans l’atmosphère.
  2. Pages 257, 264, 263, etc.