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Revenons aux animaux et à l’homme. Diderot résume Maillet et pressent Lamarck dans cette hardie formule : « Animal : forme déterminée par des causes intérieures et extérieures qui, diverses, doivent produire des animaux divers[1]. » Ainsi, voilà déjà la variété des espèces expliquée par les circonstances, par l’adaptation au milieu, par l’habitude, par l’hérédité. Qu’on ne vienne donc pas chercher des intentions, là où il n’y a que des faits accidentels. Ces sortes d’explications téléologiques, Diderot les repousse énergiquement, il les signale avec mépris, il dénonce la bêtise de certains défenseurs des causes finales[2]. « Ils disent : Voyez l’homme, etc. — De quoi parlent-ils ? Est-ce de l’homme réel ou de l’homme idéal ? Ce ne peut-être de l’homme réel, car il n’y a pas sur toute la surface de la terre un homme parfaitement constitué, parfaitement sain. L’espèce humaine n’est qu’un amas d’individus plus ou moins contrefaits, plus ou moins malades. Or quel éloge peut-on tirer de là en faveur du prétendu Créateur? Ce n’est pas à l’éloge, c’est à une apologie qu’il faut penser. Ce que je dis de l’homme, il n’y a pas un seul animal, une seule plante, un seul minéral dont on n’en puisse dire autant. A quoi servent les phalanges au pied fourchu du pourceau? à quoi servent les mamelles au mâle? etc., etc. Si le tout actuel est la conséquence nécessaire de son état antérieur, il n’y a rien à dire. Si l’on en veut faire les chefs-d’œuvre d’un Être infiniment sage et tout-puissant, cela n’a pas le sens commun. Que font donc ces préconiseurs? Ils félicitent la Providence de ce qu’elle n’a pas fait; ils supposent que tout est bien, tandis que relativement à nos idées de perfection, tout est mal[3].

La sensibilité étant pour Diderot une propriété immanente de la matière, il n’est pas étonnant qu’il se sépare de son maître, Haller, qui prétendait qu’il n’y a que le cerveau, la moelle des nerfs, la peau, et en général les parties dans lesquelles il entre des nerfs, qui fussent doués de sensibilité. Diderot soutenait que toutes les parties du corps vivant sont sensibles, parce qu’elles sont toutes vivantes. La sensibilité (que d’ailleurs il réduit à l’irritabilité) est partout où est la vie, jusque dans le dernier élément des tissus. Elle est la vie propre aux organes. Il n’y a pas une seule partie animale quelconque qui en soit privée. Un organe intermédiaire non sensible, entre deux organes sensibles, arrêterait la sensation et deviendrait, dans le système, corps étranger : ce serait comme deux animaux couplés par une corde[4].

Diderot devance cette théorie de la physiologie moderne, d’après

  1. Page 267.
  2. Page 271.
  3. Pages 267, 272.
  4. Pages 268-269, 330-331.