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se remuera, changera de situation et de forme; il s’élèvera du bruit, de petits cris, et celui qui n’aurait jamais vu une pareille grappe s’arranger serait tenté de la prendre pour un animal à cinq ou six cents têtes et à mille ou douze cents ailes. » Vous pouvez transformer par l’imagination cette grappe d’animaux distincts en un seul et unique animal : « Amollissez les pattes par lesquelles se tiennent ces abeilles ; de contiguës qu’elles étaient, rendez-les continues. » Il en est de même de nos organes. « Ce sont des animaux distincts que la loi de continuité tient dans une sympathie, une unité, une identité générales. Chaque animal est un polype, l’homme comme les autres... »

Nous ne pouvons prolonger outre mesure l’analyse de ces notes, si confuses en apparence, mais ordonnées par l’unité intérieure d’une pensée qui se poursuit à travers la diversité infinie et le désordre des détails. J’aurais voulu recueillir ici les idées les plus intéressantes qui jaillissent à chaque instant d’un souvenir, d’un fait, d’une expérience, et qui donnent une vie, une couleur à cet exposé d’ailleurs si dénué d’art. Je me contenterai de citer, sans y insister davantage, les réflexions très curieuses sur le cerveau et la vie du cerveau[1], sur les différentes sortes de mouvemens que Diderot appelle volontaires, spontanés, involontaires, naturels, et où il n’est pas difficile de reconnaître ce que la science moderne appelle les mouvements volontaires, instinctifs et réflexes[2], sur l’instinct et l’habitude, sur le mécanisme de la volonté[3], sur le sommeil, dans lequel Diderot distingue comme les physiologistes modernes le sommeil total et le sommeil partiel des organes[4], etc. Mais je ne puis m’empêcher de signaler particulièrement à l’attention des savans une série d’aphorismes caractéristiques et complémentaires de l’idée du transformisme, perdus un peu partout.

Voici d’abord quelques principes qui joueront un grand rôle plus tard dans l’école : « L’organisation détermine les fonctions. L’aigle à l’œil perçant plane au haut des airs ; la taupe à l’œil microscopique s’enfuit sous terre ; le bœuf aime l’herbe de la vallée; le bouquetin, la plante aromatique des montagnes. L’oiseau de proie étend ou raccourcit sa vue, comme l’astronome étend ou raccourcit sa lunette[5]. Le besoin engendre l’organe. Les besoins refluent sur l’organisation, et cette influence peut aller quelquefois jusqu’à produire des organes, toujours jusqu’à les transformer

  1. Pages 310, 424.
  2. Pages 327, 330.
  3. Pages 329, 351, 374.
  4. Page 362.
  5. Page 264.