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réservées à une si prodigieuse fortune. L’originalité véritable dans cet ordre d’idées, c’est à Diderot qu’elle revient. Ni dans ses Recherches sur les causes des principaux faits physiques, en 1801, ni dans ses Recherches sur l’organisation des corps vivans, en 1802, ni dans les pages devenu: s célèbres de sa Philosophie zoologique, en 1809, Lamarck n’a été vraiment créateur. Avec une science très supérieure à celle de Diderot, avec beaucoup plus d’ordre dans les idées et une force d’esprit toute spéciale appliquée à cet ordre de problèmes, il n’a pas produit une seule idée dont le germe ne puisse être retrouvé dans les Élémens de physiologie. Pour ceux qui auront lu attentivement ce curieux ouvrage, en y ajoutant le Rêve de d’Alembert, la Lettre sur les aveugles, l’Interprétation de la nature, qu’y aura-t-il de nouveau dans les principes qui constituent la Philosophie zoologique: le changement continu et indéfini proclamé comme la loi même de la nature, la négation de la fixité dans les types organiques, la substitution de l’évolution progressive des êtres à la doctrine des causes finales, et tous les moyens auxiliaires, tous les procédés à l’aide desquels s’accomplit cette grande et universelle opération de la nature, l’empire des circonstances extérieures, l’influence modificatrice des milieux, l’action souveraine des conditions de la vie, les organes naissant successivement des besoins que ressentent les vivans inférieurs, des habitudes qu’ils contractent ou des efforts qu’ils font pour accroître ou développer leur vie, d’où la formation graduelle et la disposition de la série organique?.. Voilà tout Lamarck. Mais n’est-ce pas aussi Diderot? Et lequel de ces principes n’avons-nous pas vu, à l’état de conception naissante ou même de vue très nette, dans l’ouvrage que nous avons analysé? La supériorité de Lamarck n’est pas dans la conception; elle est dans le système. Il a fait un tout organisé de ce qui n’était qu’une ébauche. il a constitué en théorie ordonnée et suivie des intuitions rapides, des conjectures jetées à la hâte, ce qui était le rêve d’un philosophe ou la brillante fantaisie d’un spéculatif. En cela comme en toute chose, Diderot n’a été qu’un prodigieux improvisateur : il a semé, c’est Lamarck qui a récolté.

A plus forte raison peut-on dire que Diderot a précédé les Allemands dans cette voie nouvelle du transformisme, où ils s’avancent depuis une vingtaine d’années, avec une intrépidité de dialectique qui défie la contradiction, mais qui ne supplée pas aux dates, s’il s’agit de l’invention de l’idée. Aussi n’est-ce pas sans une certaine surprise que nous entendons dire gravement par M. Hæckel: « A la tête de la civilisation se placent aujourd’hui les Anglais et les Allemands qui, par la découverte et le développement de la théorie de l’évolution, viennent de poser les bases d’une nouvelle période de haute culture intellectuelle. La disposition de l’esprit