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un certain temps du moins, le maître incontesté « des biens et des nuques. » Dans de pareilles conditions, la tyrannie ne risque rien à se montrer libérale; Denys payait sans compter. Le bruit de ses largesses se répandit rapidement dans le monde; les plus habiles artisans que possédassent l’Italie et la Grèce affluèrent en masse à sa cour. Tous les inventeurs étaient assurés d’y trouver le meilleur accueil. La catapulte avait déjà été employée par Conon au siège de Mitylène; à Syracuse, on la perfectionna et on s’en servit pour lancer, non-seulement des pierres, mais des traits. Elle devint un arc d’une immense puissance, un arc tel que les géans de la fable seuls auraient pu le bander. La portée des armes de jet se trouva ainsi considérablement accrue et la guerre en prit soudain un nouvel aspect. L’artillerie de l’antiquité vient d’entrer en ligne : que Ils dieux de Carthage protègent Lilybée et Panorme!

C’était surtout à la guerre de siège que Denys se préparait, car sa flotte lui semblait assez forte pour le garantir contre toute descente, le jour où il aurait constitué l’unité politique de la Sicile. Un semblable dessein ne s’accomplirait pas sans des luttes sanglantes; le ciel cependant, par plus d’un symptôme, se montrait prêt à le favoriser. La ruine d’Agrigente laissait la puissance de Syracuse sans rivale et si quelque diversion étrangère était encore à craindre, de l’étranger aussi on pouvait se promettre des secours. La froideur que les Lacédémoniens témoignaient à la démocratie sicilienne avait fait place à la plus vive sympathie. C’était le moment où Lacédémone victorieuse à Ægos-Potamos, s’occupait activement de consolider son triomphe et envoyait Lysandre parcourir les villes de la Grèce pour y établir des harmostes. De la tyrannie à l’oligarchie la distance n’était pas si grande que Sparte eût sujet de se montrer rigoureuse envers un état de choses qui se rapprochait beaucoup au fond de sa propre organisation politique. Aussi, de l’année 405 avant notre ère à l’année 398, Sparte autorisa-t-elle le tyran Denys à enrôler sur son territoire autant de soldats qu’il le jugerait bon. Ces recrues formèrent le noyau de l’armée syracusaine et lui apportèrent l’instruction tactique avec l’esprit de discipline qui lui manquait.

Où Denys puisait-il donc les énormes sommes que durent exiger de si prodigieuses dépenses? Il les puisa dans les proscriptions dont ses ennemis eurent l’imprudence de lui fournir à diverses reprises l’occasion. Les premiers temps de son usurpation furent singulièrement troublés par des séditions militaires; les cavaliers surtout, attachés, par je ne sais quel penchant dont la cavalerie fut rarement exempte, au parti oligarchique, faillirent plus d’une fois « le faire sortir de la tyrannie, tiré par les jambes. » Denys parvint