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on faisait la guerre et que probablement on la ferait encore, si quelques pauvres gens, rebelles à la loi d’orgueil sous laquelle le ciel les avait fait naître, n’eussent conçu le sublime dessein d’aller enseigner au monde une autre morale. Le christianisme a changé le cours des idées de ceux mêmes qui affectent de se proclamer ses ennemis et, quoi qu’on en puisse dire, les hérauts de la bonne nouvelle n’ont pas parcouru l’univers en vain. Sans leurs prédications, la civilisation moderne courait grand risque de nous ramener par une pente insensible à l’anthropophagie.

L’été finissait : Denys chargea Leptine de garder avec cent vingt navires les parages que la saison le forçait d’évacuer. Dans Motye même, il laissa une garnison composée de Sicules. Le gros de ses forces reprit, sous ses ordres, la route de Syracuse. Il y aurait eu folie à s’endormir sur ce premier succès ; les Carthaginois ne pouvaient manquer de préparer un retour offensif. Investi de l’autorité suprême, Imilcon faisait, en effet, d’immenses levées. Une flotte de quatre cents bâtimens à rames escortant six cents navires de transport, reçut à son bord une armée de cent mille hommes. On ne chargea point seulement cette flotte de vivres, de machines de guerre, de munitions ; on lui donna aussi à porter quatre mille chevaux et quatre cents chars. De semblables expéditions ne furent point rares dans l’antiquité et, avec toutes les ressources dont dispose aujourd’hui la science navale, nous les déclarerions impossibles ! Remarquons d’ailleurs le cachet de vraisemblance dont sont empreints les récits contemporains auxquels Diodore a emprunté le fond de son histoire. Lorsque la flotte est prête, Imilcon fait remettre à chacun des pilotes un pli cacheté. Ce pli ne devra être ouvert qu’à une distance déterminée du rivage. Semblable précaution fut prise par l’empereur, lorsqu’il fit partir l’amiral Villeneuve de Toulon. Ce sont là les conditions indispensables du secret, mais on n’invente point de pareils détails; quand je les rencontre dans les relations de Timée ou d’Éphore, je me crois fondé à y reconnaître la déposition de témoins bien informés.

Les plis cachetés remis par Imilcon aux pilotes de Carthage leur enjoignaient de se diriger sur Panorme. Le vent était favorable, toute la flotte leva l’ancre. Les vaisseaux à voiles eurent bientôt pris une avance considérable sur les navires à rames qui devaient au besoin les défendre; ils n’essayèrent cependant pas de ralentir leur allure et comptèrent sur la violence de la brise pour forcer, si l’ennemi se présentait, le passage. Déjà l’on aperçoit Maritimo, Favignana, Levanzo, ce groupe d’îles élevées dont le sommet se cache si souvent dans les nuages et qui sert d’avant-poste à la pointe occidentale de la Sicile. Les Libyens ne pouvaient souhaiter un phare mieux placé pour assurer leur traversée d’Afrique en Europe.