Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/884

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’amiral de Sicile, Leptine, prévenu par Denys, guettait avec trente trières l’arrivée d’Imilcon ; seulement il la guettait du canal étroit où il s’était embusqué. Ses vaisseaux ne lui semblaient pas de ceux qu’on peut impunément aventurer au large. Quand les premiers transports ennemis apparurent, Leptine courut sur eux et en coula cinquante. Il submergea ainsi d’un seul choc cinq mille hommes et deux cents chars de guerre; le reste de la flotte réussit à gagner Panorme. Les anciens faisaient, sans hésiter, la part du feu dans toute affaire sérieuse ; maîtres de la Calabre, ils n’auraient pas, comme nous, laissé les Anglais s’implanter en Sicile.

Imilcon, quand il eut débarqué le gros de ses troupes à Panorme, ne trouva pas qu’il eût payé ce premier succès trop cher. Le seul déploiement de ses forces le rendait, sans coup férir, maître du terrain; il l’inonda sur-le-champ de son armée. Denys n’eut d’autre ressource que de s’aller enfermer, en ravageant sur tout son passage la campagne, dans l’enceinte fortifiée de Syracuse. Imilcon ne voulut pas s’arrêter à Panorme; il y redoutait encore les vaisseaux longs de Leptine. Une baie ouverte ne lui semblait pas un abri suffisant; il lui fallait un port fermé par un goulet étroit pour y remiser en toute sécurité ses six cents navires. Messine lui parut offrir l’abri désiré. Il s’y porta sans délai avec toute son armée flanquée par les trières qui longeaient d’aussi près que possible la côte. Messine n’était point en état de soutenir un siège ; les troupes carthaginoises s’en emparèrent sans peine, et les six cents vaisseaux donnèrent à pleines voiles dans ce havre, arrondi, suivant la remarque des géographes anciens, comme un crochet d’hameçon.

Les Sicules étaient toujours, à peu d’exceptions près, du parti des envahisseurs; ils furent d’un grand secours à Imilcon. Ces montagnards lui rendirent avec empressement les services qu’ils avaient naguère rendus aux Athéniens, mais ils ne pouvaient lui livrer Syracuse, et c’était devant Syracuse qu’avait échoué Nicias. On comprend l’importance dont jouissait la cité dans le monde antique, car la cité devenait, en toute occasion périlleuse, le refuge. Les nationalités y mettaient pour ainsi dire leur âme Les cités aujourd’hui sont des nids à bombes, et il est facile à l’ennemi qui tient la campagne de les enfermer dans un cercle de feu; leur résistance peut donc se mesurer au nombre de jours de vivres qu’elles ont accumulés. Le plus sûr boulevard des nations, depuis que les canons rayés s’entendent si bien à cerner les villes, ce sont les bataillons disciplinés qui s’interposent entre l’invasion et le cœur du pays. Quand ces bataillons ont été dispersés ou refoulés sur les places fortes du centre, il n’y a que la mer à laquelle on puisse encore, comme dernier recours, tenter de s’appuyer. Denys s’était