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du château Saint-Ange, aux paiemens de l’annone, devient Torre nona, bien qu’il paraisse impossible de lui trouver dans quelque série que ce soit une neuvième place, — ou bien Tor di Nona, dénomination corrompue qui n’offre plus aucun sens. La roche Tarpéienne continue pendant un long temps à être le lieu des supplices : c’est là que le bourreau tranche les têtes; on y arrive par les scale della gran giustizia; mais le souvenir d’un nom jadis si célèbre s’est effacé, et ce n’est plus pour le moyen âge que la montagne aux chèvres, monte caprino, de même que l’ancien forum n’est plus que la place aux bœufs, campo vaccino. L’arc de Titus est devenu, à cause de ses bas-reliefs mutilés qui n’ont pas cessé d’arrêter les regards, l’arco delle sette lucerne, l’arc aux sept lampes. Si le nom du palais de l’antique famille des Laterani, converti en basilique, s’est perpétué, on l’interprète d’une manière qui convient à l’abandon de ce lieu, voisin de la campagne romaine : latere et rana ! L’Arcus Nervae est devenu l’Arca di Noë. — On connaît de reste les aberrations devenues populaires sur le Capitole et ses statues sonnantes, sur le cavalier rustique, sauveur de Rome assiégée, etc.

L’aurore d’une renaissance se montre en quelques intéressantes œuvres romaines du XIIIe siècle; mais le séjour des papes à Avignon, de 1309 à 1377, vient raviver l’anarchie. Les souvenirs de l’ancienne grandeur sont à peine restés dans les esprits. Dante lui-même n’aperçoit les monumens antiques qu’à travers les nuages des Mirabilia. Ce n’est pas Pétrarque, c’est le pauvre tribun Rienzi qui fait, un des premiers, quelque sérieuse attention au langage des inscriptions lapidaires. Il voudrait ranimer l’ancienne république romaine; mais la multitude qui l’écoute ne sait plus, ni lui-même, ce que c’est que le pomœrium urbis; il traduit comme s’il y avait pomarium, et il revendique l’Italie parce qu’elle est, dit-il, le jardin ou le verger de la ville éternelle. La solitude s’étend comme une lèpre, le forum et le Palatin ne sont bientôt plus que des pâturages. L’inertie devient telle que, sur les toits des maisons, de misérables planchettes de bois, scandulœ, dont Rome s’était contentée pendant les cinq premiers siècles, remplacent de nouveau les tuiles : cette simple fabrication, si extraordinairement abondante pendant la grande époque classique, est devenue trop difficile pour les Romains dégénérés. Les maisons elles-mêmes sont construites avec de si mauvais matériaux qu’il faut se les représenter de terre plutôt que de brique.

Les monumens de l’antiquité sont exposés alors à un triple péril. Ils deviennent des forteresses, au risque de disparaître sous les aménagemens les plus bizarres ou de s’effondrer sous les coups des assaillans. Pendant les longs débats entre le sacerdoce et