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qu’on lui signalait et qu’il aurait pu invoquer, M. Disraeli refusa de suivre ce conseil. Que gagnerait le cabinet à faire ainsi l’aveu public d’une impuissance qui n’était que trop manifeste ? Continuerait-il à ne vivre que par la protection de quelqu’une des coteries parlementaires ? Combien de temps le laisserait-on prolonger cette existence souffreteuse ? Aurait-il même le choix de la question sur laquelle il devrait se retirer, et dans quelle désorganisation le parti ne tomberait-il pas, le lendemain d’un semblable congé ? Mieux valait succomber honorablement sous son propre drapeau, en essayant de tenir parole à ce grand parti conservateur, dont les forces semblaient se retremper dans l’opposition. Une victoire transformerait immédiatement en alliés empressés les patrons douteux qui offraient leur protection ; une défaite pouvait-elle faire désespérer de l’avenir quand on jetait un regard sur le chemin parcouru en quelques années ? M. Disraeli fit prévaloir ce sentiment au sein du cabinet. Une lutte des plus ardentes s’engagea : après avoir répondu avec un talent qui arracha l’admiration de ses adversaires à toutes les critiques dont le budget avait été l’objet, M. Disraeli fit allusion aux conseils qu’il avait reçus ; il déclara que le ministère ne voulait laisser ni affaiblir ni déconsidérer le pouvoir entre ses mains, qu’il savait avoir en face de lui une coalition puissante, mais qu’il appellerait de la victoire de cette coalition au jugement de l’opinion publique. Quand il eut cessé de parler, les applaudissemens éclatèrent de toutes parts et se prolongèrent pendant plusieurs minutes ; il sembla que tout l’auditoire eût été entraîné par cette parole puissante ; mais au moment du vote l’esprit de parti et les ambitions personnelles reprirent tout leur empire ; une majorité de dix-neuf voix repoussa les propositions du chancelier de l’échiquier.

Le ministère donna sa démission le jour même. Son court passage aux affaires avait été marqué par plusieurs mesures importantes : la réorganisation de la milice, la réforme de la cour de chancellerie, l’établissement des cimetières hors des villes, l’octroi d’une constitution à la Nouvelle-Zélande, enfin le rétablissement de la convocation ou des synodes de l’église anglicane. Dans chacune des deux provinces ecclésiastiques de Cantorbery et d’York, les évêques et les députés du bas clergé devaient se réunir, en chambres hautes et basses, le jour même où le parlement se rassemblait. L’objet de ces réunions devait être de délibérer sur les questions de doctrine, de liturgie et de discipline ecclésiastique que les circonstances pouvaient faire naître ; mais, depuis deux siècles au moins, le gouvernement, dans un esprit d’inquiète jalousie, prorogeait immédiatement les assemblées ecclésiastiques sans leur laisser le temps de délibérer. M. Disraeli, qui avait défendu contre lord