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qui n’est point élevé est bas. Faust a comme Goethe l’âme élevée, Merck a de la bassesse. Et l’esprit de bassesse, de négation, c’est le diable, c’est Méphistophélès. Tout acte positif, créateur, lui sera refusé ; la force d’initiative sous quelque aspect qu’on se la représente lui fera défaut. Il n’existe et ne peut exister qu’à l’état de contradiction ; pour qu’il entre en phosphorescence, il lui faut l’antagonisme. Goethe a pris soin de nous indiquer dans son journal que le seul homme au courant de sa vie quotidienne est Merck, et ce confident indispensable, il ne le recherche ni ne l’estime. Faust, lui non plus, ne saurait se passer de Méphistophélès ; que deviendraient-ils l’un et l’autre sans leur miroir dont la transparence implacable réfléchit les choses comme elles sont ? Comment sortiraient-ils d’embarras, ces docteurs sublimes, s’ils n’avaient là sous la main, pour le feuilleter à toute heure, le livre aux renseignemens, le vocabulaire universel où pas une idée n’est formulée, mais où sont catalogués tous les mots ? Ici pourtant se dresse une objection : la conception de Faust remonte à l’époque du séjour à Strasbourg, tandis que les rapports avec Merck ne datent que d’une période beaucoup plus tardive ; force est donc d’aller aussi nous renseigner ailleurs.


III

Goethe était venu à Strasbourg la tête pleine d’illusions et de présomption, en fils de famille souverainement sûr de son affaire et qui n’a besoin de personne pour trouver sa voie. Jurisprudence, théologie, physique, il allait tout savoir ; c’était le docteur Faust en herbe, ses antécédens l’avaient accoutumé aux égards, à la déférence, et voilà qu’en débarquant il se heurte contre Herder. Celui-ci, du premier coup, le déconcerte. Il se sent en présence d’une force parfaitement maîtresse et consciente, d’une autorité qui ne fléchira point, d’une intelligence à laquelle il n’apporte rien. Herder, bien au contraire, commence par dérouler aux yeux de Goethe des horizons qu’à lui seul le disciple n’eût point découverts, et tout cela, simplement, froidement, avec une nuance d’ironie pour répondre aux démonstrations gratulatoires d’un jeune monsieur qui jusqu’alors n’avait encore admis la supériorité de quiconque. Herder répandait ses idées à pleines mains, mais personne en les ramassant n’échappait aux amères boutades dont ce dispensateur de richesses accompagnait ses présens. Méphistophélès également connaît le fond des choses, révèle à Faust les secrets de l’être, le promène d’une sphère à l’autre, étale devant lui les jouissances et les trésors de cette pauvre humanité qu’il bafoue et dont