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heureux de rencontrer l’ami puissant et nécessaire, à qui on pourrait dire tous ses secrets et qui s’engagerait à n’en point avoir. Une Autriche boudeuse, malveillante, sourdement hostile, réservant l’avenir et la liberté de son action, est considérée comme un grave péril, son amitié serait regardée comme la plus précieuse des garanties, et on serait enchanté de conclure avec elle un traité perpétuel, accompagné d’une convention douanière. Malheureusement les traités perpétuels n’entrent guère dans les combinaisons de M. de Bismarck ; il n’aime pas à s’enchaîner, à se lier les mains, et s’il poursuit toujours le même but, il lui plaît de changer de moyens. Il ressemble à ces directeurs de théâtre qui préfèrent les spectacles coupés aux pièces en cinq actes, et qui prennent leur parti de renouveler souvent leur affiche. Quant aux conventions douanières, elles offrent aussi quelques difficultés. Si nous sommes bien informé, M. de Bismarck avait résolu d’ajourner la conclusion de tout traité de commerce. Tout fraîchement converti au protectionnisme, il désire savoir ce que le protectionnisme rapporte. Il se flatte que son nouveau tarif douanier lui donnera bon an mal an 120 millions de marks ; il en veut faire l’expérience. Au surplus, en vertu du traité de Francfort, toutes les concessions qu’il fera à l’empire austro-hongrois seront applicables à la France. Si décousue que puisse Sembler la politique financière de M. de Bismarck, se donnera-t-il si promptement un démenti ? Si fertile qu’il soit en expédiens, en trouvera-t-il un pour favoriser l’Autriche sans que la France en profite ? L’omnipotence elle-même a ses pudeurs.

Les Allemands n’aiment pas les Russes, et il leur serait souvent difficile de dire pourquoi. Les Russes du parti panslaviste ou national détestent les Allemands, et ils sont toujours prêts à s’en expliquer. L’animadversion qu’ils professent à l’égard de leurs puissans et savans voisins se manifeste en toute rencontre ; le premier incident venu lui sert d’aliment. Au mois de février de cette année, ce fut une grosse question de savoir si l’on avait réellement découvert un cas de peste à Saint-Pétersbourg ou si le nommé Prokofief était atteint tout simplement d’une syphilis constitutionnelle. Les médecins allemands se prononcèrent pour la syphilis, le médecin impérial Botkin déclara sur sa tête que le nommé Prokofief avait la peste. Nous lisons dans un livre intitulé : la Russie avant et après la guerre, qu’autrefois, dans l’âge d’innocence, il ne régnait aucune hostilité nationale entre les médecins allemands de Saint-Pétersbourg et leurs confrères russes, que la supériorité des premiers passait pour un fait constant dans tout l’empire et en particulier dans la résidence. — « Le grand mérite de Botkin fut de s’insurger contre cette tradition. Il était parvenu à la renommée dans le temps même où le fanatisme national commençait à avoir la vogue. Profitant habilement des dispositions régnantes, cet homme de valeur et de forte volonté se posa comme le médecin russe par excellence et