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à Berlin qu’il faut aller chercher les clés de Sainte-Sophie. D’autres Russes à la vérité répliquent que c’est à Vienne qu’elles se trouvent, mais ils estiment qu’on ne peut aller à Vienne sans passer par Berlin. Comme nous l’avons dit, on ne soupçonne pas le cabinet français de vouloir prendre part à cette aventureuse campagne ; mais on déclara qu’il y a en France un parti bien dangereux, toujours prêt à comploter contre l’empire allemand, et qui profiterait de l’occasion pour s’emparer du pouvoir. Ce parti est composé d’hommes d’intrigue, industrieux, remuans, dont on ne saurait trop se défier. « J’aperçus, disait l’apôtre saint Jean, un ange qui était debout dans le soleil et qui cria d’une voix forte à tous les oiseaux, grands et petits : Venez, rassemblez-vous pour le grand festin que Dieu vous donne, pour manger la chair des rois, la, chair des généraux, la chair des hommes forts, la chair des chevaux et de ceux.qui les montent. » La grande coalition du prince Gortchakof et des orléanistes, voilà le mystère d’iniquité, voilà le puits de l’abîme, d’où sort la noire fumée qui obscurcit le ciel de l’Allemagne.

Nous ne pensons pas qu’à Saint-Pétersbourg on s’émeuve beaucoup de ces imputations, et nous inclinons à croire que le voyage de M. de Bismarck à Vienne a causé au gouvernement russe plus d’humeur et de contrariété que d’inquiétude. Le gouvernement russe sait bien que le septennat militaire a été pour quelque chose dans cette démonstration à grand effet ; il sait aussi que quand M. de Bismarck conclut des alliances sérieuses en vue d’une action prochaine, il déploie moins d’apparat, fait beaucoup moins de bruit, que tout se passe sous le manteau de la cheminée et que l’univers n’est pas mis dans le secret. Il n’y a rien d’invraisemblable dans les paroles qu’attribue au chancelier de l’empire allemand un journal ministériel d’Autriche, qui affirmait l’autre jour qu’on n’a point échangé de signatures à Vienne, qu’on s’en est tenu aux conventions verbales : — « Nous nous entendrons plus facilement sans traité qu’avec un traité, doit avoir dit M. de Bismarck, Une convention écrite est plutôt une entrave qu’une garantie, car elle empêche de donner de l’extension à l’amitié. Qu’Haymerlé ou moi nous ayons subitement l’idée de ménager plus d’intimité à notre liaison, nos écritures seraient un empêchement, car il nous en coûterait de les remanier toutes les quatre semaines. Quand je me suis marié, je n’ai pas fait d’accord écrit avec ma femme, et nous avons vécu en bonne harmonie jusqu’ici mieux que nous ne l’aurions fait avec un contrat. » M. de Bismarck a toujours été friand de l’écriture des autres et avare de la sienne. Il ne se donne jamais, il réserve le lendemain, il est l’homme des occasions et n’a de goût que pour les alliances occasionnelles. Qui peut se flatter de savoir ce qu’il fera dans un an d’ici ? On le saura d’autant moins que M. de Bulow vient de mourir. C’était un homme précieux que M. de Bulow, et sa perte sera longtemps pleurée par le corps