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plus diverses, l’impossibilité de se fixer dans un attachement et, mêlée à ce fiévreux désir de connaître, à cette indomptable curiosité, la conscience d’une frivolité coupable, d’un superficiel je ne sais quoi, au demeurant fort déshonnête. Plus tard ce phénomène du double moi le troubla : il en avait avec les années pris son parti, mais on peut dire qu’aux jours de jeunesse et d’orages, la découverte eut ses surprises et même ses épouvantemens. Contradiction et désaccord, c’étaient là prédispositions de nature. De même que le bien, le mal aussi régnait en lui et, les deux forces coexistant, il arrivait souvent que le mal prenait le dessus. La question terrible, suprême, se posait alors : le mal est-il quelque chose de positif ou n’y faut-il voir qu’un fantôme qui, s’effaçant, disparaît au dernier règlement des comptes ? Goethe le croyait ainsi, mais on n’est jamais sûr de rien et, dans sa recherche de la vérité, il recourait à Spinoza. Nous savons que Goethe ne se livra jamais sans réserve : âme qui vive ne le conquit ; au plus fort de la passion, il garde son sang-froid et se recueille. Pas un être qui définitivement le captive, pas un ouvrage dont il regrette de ne pas être l’auteur ; il a des insolations, rien ne lui dure. Herder, Lavater, Jacobi, enthousiasmes d’un moment d’apprentissage, crises bientôt surmontées. Les influences qui le gouvernent sont dans le passé. Homère, Shakspeare, Raphaël et Spinoza, voilà ses vraies attaches. Ces quatre hommes représentent pour lui les élémens générateurs de toute la culture moderne ; les principes de l’atmosphère intellectuelle où nous respirons, où nous pensons, où nous travaillons tous tant que nous sommes. Homère et Shakspeare sont les premiers en date, Spinoza ne vint que plus tard, et d’ailleurs leur influence n’a pas besoin d’être expliquée, et nul parmi nous ne la conteste ; pour Spinoza, plus en dehors de notre horizon, le cas est différent et nécessite quelque digression.

Porro unum est necessarium : la question religieuse est en somme une grosse affaire. Croyant ou non croyant, chacun la résout à sa manière, mais tout le monde y pense et les plus sceptiques eux-mêmes sans en avoir l’air. C’est déjà lier commerce avec la foi que de nier. Sans toucher aux sujets irritans, sans parler ni de l’article 7, ni des jésuites, ni des rapports de l’église avec l’état, ni de la critique des évangiles, on serait pourtant bien aise de savoir un peu à quoi s’en tenir sur ce qui se passe au delà des choses de ce monde. Il y a là un point d’interrogation inéluctable ; vous avez beau vous détourner de la voie publique, prendre par la traverse, au bout des plus secrets sentiers, le poteau se dresse, et bon gré mal gré on y regarde pour s’orienter. Ceux qui sont morts reviennent-ils ? Où et comment ? Et cette