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devant l’attitude indifférente ou passive du suffrage universel. La grande voix des masses populaires n’a-t-elle pas répondu sans hésitation à l’appel patriotique de ses représentans pour le service obligatoire, qu’un parlement de suffrage restreint n’eût jamais osé voter ? Et qui réclame aujourd’hui l’entière application de ce principe et la suppression du volontariat, sinon le suffrage universel ?

On a souvent reproché au gouvernement parlementaire de sacrifier les questions d’affaires aux questions politiques. On a eu raison, s’il ne s’agit que de vains tournois de parole où l’on ne cherche que le bruit et l’effet, comme sur la scène d’un théâtre. Mais une institution se juge sur l’usage qu’on en fait et non sur l’abus qu’on en peut faire. Nulle part les questions d’intérêt n’ont été mieux discutées et mieux comprises que dans les pays et les temps où l’on pratique ce régime de parole et de discussion publique. En ce moment, où l’on ne peut accuser nos ministres et nos députés d’abuser de la parole parlementaire, s’aperçoit-on que la politique cède le pas aux affaires ? Les questions les plus graves, les plus urgentes, qui touchent à nos finances, à notre industrie, à notre commerce, à notre organisation militaire, attendent toujours une solution qui assure au pays sa sécurité et rende leur activité aux affaires. Est-ce aux grands débats politiques du parlement qu’il faut attribuer cette inertie et cette impuissance qui paralysent toute initiative ? Ne serait-ce pas plutôt à ce gouvernement sans bruit, sans éclat, mais aussi sans lumière, où s’agitent tant de petites intrigues et de mesquines ambitions ? Et puis ces grandes questions de politique intérieure ou extérieure ne sont-elles pas les plus graves questions d’affaires qui puissent se discuter ? L’ordre et la liberté, la paix et la guerre, le droit des citoyens et le droit de l’état, sont-ce là des problèmes indifférens aux intérêts publics ou privés ? Le régime de la discussion a ses inconvéniens, surtout chez un peuple prompt à en abuser. Nous savons par expérience qu’il ne nous coûtera jamais aussi cher que le gouvernement du silence. Un peuple peut être tranquille, tant que ses destinées se discutent en plein parlement. Là il n’y a place ni pour la fantaisie ni pour l’aventure, parce que la lumière qui finit par jaillir de la discussion dissipe les chimères et les fantômes. C’est quand elles se jouent dans le cabinet d’un maître, quel qu’il soit, césar de caserne ou dictateur de parti, que le pays doit trembler.

Tout cela, dira-t-on encore, peut être excellent en théorie et même en pratique. Mais les amis du régime parlementaire oublient une chose, l’intérêt du parti républicain. Avec ce gouvernement de parole et de discussion, où il faut s’expliquer sur tout, où l’on ne peut s’expliquer sans se contredire, se distinguer et parfois se