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en effet, n’aurait-il pas hérité de la colonie phénicienne, puisque Alexandre avait bien pu se substituer en Asie à Darius ?

Le tyran sicilien n’eût pas nourri ce projet que d’autres y auraient probablement dirigé leur ambition. Chacun, à cette époque, rêvait les destinées d’un Cassandre ou d’un Séleucus ; le monde déchiré appartenait aux officiers de fortune. Chassées de leur patrie par les troubles civils, des populations entières d’exilés erraient en tous lieux, cherchant un camp plus encore qu’une cité qui les accueillît, prêtes à grossir la première armée qui voudrait solder leurs services. Un lieutenant de Ptolémée, Ophellas, pressé de s’affranchir d’une tutelle importune et de se créer un rôle indépendant, recruta parmi ces volontaires une troupe nombreuse et se rendit maître des villes de la Cyrénaïque. Le bruit de ses progrès ne tarda pas à parvenir aux oreilles d’Agathocle. Etait-ce un rival que le sort lui suscitait ? Ophellas serait un rival s’il ne devenait pas un allié. Agathocle ne désespéra point de circonvenir le vaillant soldat qui fut peut-être aussi brave qu’Ajax, mais qui ne paraît pas avoir possédé la prudence d’Ulysse. Il détacha près du condottiere un agent investi de sa plus intime confiance. « Partez, lui dit-il, et tâchez de faire comprendre à Ophellas que je ne suis pas venu en Libye pour accroître mes domaines ; je n’ai d’autre ambition que d’obliger les Carthaginois à évacuer la Sicile. Si j’eusse eu le goût des conquêtes, n’avais-je pas l’Italie sous la main ? Me serais-je exposé à traverser une mer orageuse quand il me suffisait de franchir un détroit large de quelques lieues à peine ? Qu’Ophellas vienne m’aider à humilier l’orgueil de Carthage, je le laisserai volontiers le maître en Afrique ! » Ophellas ne soupçonna pas ce que pouvait renfermer de ruse le cœur d’un tyran sicilien. Il se mit en campagne avec plus de dix mille hommes d’infanterie, avec six cents cavaliers, avec cent chars de guerre ; il marcha deux mois à travers les Sables, sous un soleil brûlant, et arriva enfin, après d’incroyables fatigues, au camp d’Agathocle. L’imprudent allait au-devant de sa destinée. Ce n’était pas un allié, c’étaient des renforts que voulait le grand parvenu, qui se faisait un jeu des sermens les plus solennels ; Ophellas lui amenait ce qu’il n’avait plus le moyen de faire venir de la Grèce ou de l’Italie. L’accueil que réservait Agathocle au héros fourvoyé entretint pendant quelque temps ses illusions ; mais bientôt une collision naquit entre les deux armées à l’occasion du partage du butin. Des deux côtés on courut aux armes. La lutte était trop inégale pour ne pas se terminer promptement à l’avantage de celui qui l’avait artificieusement provoquée. Ophellas, entouré, résista jusqu’au bout. Il mourut sans demander quartier, comme devait mourir un compagnon d’Alexandre. Ses troupes