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L’ordre renaissait à peine sur ce sol bouleversé, qu’un cri de détresse parti de la Libye traversa les mers : Archagathus s’était fait battre par les Carthaginois. Agathocle chargea son frère Leptine de poursuivre la guerre en Sicile contre les mécontens et se tint prêt à passer de nouveau en Afrique. La flotte carthaginoise venait cependant de reprendre son poste devant Syracuse ; les revers répétés infligés sur terre à Carthage ne lui avaient pas ravi la suprématie maritime. Agathocle réussirait-il aussi bien cette fois à forcer le blocus ? Il attendait de la Tyrrhénie une escadre de dix-huit trirèmes et en tenait dix-sept autres équipées dans le port. Les navires tyrrhéniens se glissèrent de nuit le long de la côte, et la baie de Syracuse les reçut sous l’égide de ses catapultes, avant que les Carthaginois pussent les arrêter. Agathocle possédait désormais le moyen de combattre ; il résolut de tenter une sortie de vive force. Essaiera-t-il de rompre la barrière en se ruant brutalement de toute sa vitesse sur la ligne de front que l’ennemi ne saurait manquer de lui opposer ? Ce moyen héroïque n’exige pas grand effort d’esprit, et Agathocle est, avant tout, un général ingénieux. Dès qu’il s’agit de stratagèmes, il faut, je le répète, toujours consulter les anciens. On peut dire qu’en paix comme en guerre l’antiquité a passé sa vie à ruser. Agathocle partage ses forces en deux divisions. A la tête des dix-sept navires de Syracuse, il sort en plein jour du port ; les Carthaginois, ainsi qu’il l’a prévu, se lancent à sa poursuite. A peine ont-ils tourné leurs proues du côté du large, que les dix-huit vaisseaux tyrrhéniens se mettent à leur tour en mouvement. Agathocle guettait leur entrée en scène ; il fait soudain volte-face. L’ennemi se trouve pris non pas entre deux feux, mais entre deux rostres, ce qui est peut-être plus périlleux encore. Je n’ai jamais servi dans un port bloqué ; j’ai assisté, en revanche, à plus d’un blocus. Je déclare qu’une manœuvre analogue à celle d’Agathocle, si elle eût été tentée par les navires autrichiens que j’avais en 1859 la mission de tenir enfermés dans le port de Venise, m’aurait fort embarrassé. Les Autrichiens disposaient de trois issues, dont une seule, il est vrai, était profonde : Chioggia, Malamocco, le Lido. — Agathocle semble n’en avoir eu qu’une, car personne ne nous dit qu’il sortit du petit port pendant que les Tyrrhéniens s’apprêtaient à sortir du grand. La déroute des Carthaginois fut complète. Resté maître de la mer, pourquoi Agathocle ne continua-t-il pas sa route ? pourquoi ramena-t-il sa flotte à Syracuse ? Agathocle jugea trop dangereux de laisser derrière lui, exposée à la famine, une ville qui était le berceau et le siège de son autorité. Il voulait s’occuper en personne, d’en assurer le ravitaillement. Besoin n’était d’ailleurs de presser le commerce maritime de reprendre son cours.. La voie libre et le chemin sûr, la navigation marchande ne demande