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Ainsi parlait Caton, quand il songeait à échapper par la mort à la tyrannie de César. Caton cependant n’est pas au nombre des grands hommes dont je voudrais protéger la mémoire à outrance. Il y a un coup de poing de trop dans sa vie.


Oui, Platon ! tu dis vrai, notre âme est immortelle !


est une belle parole, surtout quand on la prononce à deux doigts du trépas ; fermer le livre et se détourner pour frapper au visage un esclave attendri et dévoué est une vilaine action. Le coup fut si violent que le poing de Caton en demeura tout enflé ; il fallut qu’un médecin vînt panser de son mieux la honteuse blessure, et quand le dernier des Romains jugea le moment venu, quand il se voulut enfoncer son glaive dans la poitrine, la main endolorie, par un juste châtiment, fît imparfaitement son office. Caton d’Utique ne réussit pas à se tuer sur-le-champ. Il croyait ne laisser une leçon qu’à sa patrie ; il en laissait une au monde. Le monde des anciens n’était fait ni pour le faible ni pour le pauvre. On y adorait la force, on y honorait l’orgueil ; on n’avait oublié qu’une chose : d’élever un autel à la douceur. Ce fut le christianisme qui se chargea de ce soin. Et vous vous étonnerez que le monde soit venu baiser les pieds, les beaux pieds poudreux qui lui apportaient la bonne nouvelle ! Il est né un nouveau Dieu, le Dieu des esclaves et des humbles, le Dieu de ceux qui n’en avaient pas.


De retour en Sicile, Agathocle y retrouva l’anarchie. Il avait beau frapper, l’hydre gardait toujours quelque tête. Une fois encore le fils de Carcinus eut recours à son glaive, puis il reprit la cuirasse et la lance. Le général des bannis, Dinocrate, avait à cette époque une armée de beaucoup plus nombreuse que l’armée du tyran ; Agathocle réussit cependant à le vaincre. Le prestige d’une autorité dévolue par le peuple combattait pour le vieux lion, et les défections lui aplanirent la route. Impitoyable dans les heures de détresse, Agathocle eut le triomphe clément. Qu’on s’appelle Agathocle, Octave ou Henri IV, il faut toujours finir par le pardon. Dinocrate devint le plus fidèle allié et le meilleur lieutenant de l’irrésistible adversaire contre lequel il avait tenu trois ans la campagne. Ce fut lui qui rangea sous les lois d’Agathocle les forteresses et les villes obstinées dans la sédition.

Agathocle avait hâte de pacifier la Sicile, car il ne renonçait pas au projet de faire payer aux Carthaginois les frais de cette nouvelle guerre intestine, son cœur ne gardait de haine que contre l’étranger. La haine ne tient lieu ni de bonnes armées, ni de vaillantes flottes, ce n’est pas avec de la haine seulement qu’on passe en