Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dominante puissent seuls contracter mariage, les autres n’ayant même pas le bénéfice du mariage civil[1].

Tels sont les caractères que doit offrir la limite du droit appliqué, considérée en soi ; mais nous pouvons la perfectionner encore et la rapprocher de la liberté idéale. On ne l’a pas assez remarqué, pour que cette limite nécessaire soit la moindre altération possible de la liberté, il faut qu’elle soit l’œuvre de la liberté même ; il faut, toutes les fois que faire se peut, qu’elle soit librement acceptée et voulue. En effet, si c’est volontairement que je m’arrête, dans l’exercice extérieur de mes droits, à une certaine limite, fin de mon domaine et commencement du vôtre, ma liberté demeurera libre même dans l’acte par lequel elle s’imposera une borne. Il y aura en ce cas la moindre altération et la plus grande somme possible de liberté, ce qui, selon nous, constitue le droit. Les écoles catholiques définissent le droit « la conformité à l’ordre divin[2] ; » nous le définirions plus volontiers la conformité à l’ordre humain, à l’ordre des libertés.

Nous posons donc le problème de la science sociale, dans ses applications à la jurisprudence et à la politique, sous la forme suivante : Comment faire que les limites, mêmes de la liberté soient l’œuvre de la liberté ? Quelle voie doivent suivre les volontés humaines dans le milieu extérieur, c’est-à-dire dans la nature et la société, pour s’altérer et se diminuer le moins possible tout en se restreignant elles-mêmes ? — Nous donnons ainsi à cette importante question une forme scientifique, analogue au problème suivant de la mécanique : Quelle voie suivra un mobile qui, traversant un milieu résistant, ne doit abandonner de sa force et de sa vitesse que la quantité nécessaire pour contre-balancer les obstacles ?

Ce minimum de limitation que, la liberté doit s’imposer dans la vie sociale est d’une détermination extrêmement difficile, à cause de

  1. « La sécularisation du mariage est historiquement fille de la Réforme ; vous venez de voir quelles lâchetés et quelles infamies ont préparé son avènement ; vous prévoyez ce qui devait le suivre. » A notre époque, « le mariage n’est plus qu’un contrat civil, dont le maire est le témoin nécessaire. Il n’y a pas de mariage sans la déclaration de l’officier de l’état civil ; il y a mariage dès que cette déclaration est faite ! » Lucien Brun, ibid., pages 125 et 121.
  2. Introduction à l’étude du droit, p. 51.