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Mais il ne faut pas attendre le moment même de la collision et par conséquent de la passion pour fixer la limite cherchée. Il est conforme à la nature d’êtres raisonnables, dans toutes les associations qu’ils forment entre eux, de prévoir les cas où leurs libertés peuvent se faire échec et de déterminer à l’avance la limitation que chacune devra s’imposer : c’est cette règle qui, quand elle est généralisée et appliquée à tous les membres de l’association, constitue la loi. L’ordre civil ou politique qui règne lorsque les lois sont universellement respectées nous apparaît ainsi comme un système de contraintes intérieures que chacun exerce sur soi-même en vue d’autrui, sous la condition de la réciprocité : chacun, en effet, par respect du droit des autres, se contient, s’abstient, et pour ainsi dire se contraint volontairement. La loi est une nécessité acceptée et voulue par la liberté même. De cette façon encore, on a la moindre perte possible de liberté et de force vive ; à vrai dire même, il n’y a pas perte, il y a simple échange ; bien plus, cet échange de services finit par constituer un profit pour tous.

Si l’exercice extérieur des libertés se conformait toujours aux règles de justice contractuelle établies, c’est-à-dire aux lois, l’état de la société serait un état de paix dans lequel aucun droit ne serait violé. Mais en fait l’injustice existe, et ce fait va nécessairement donner lieu à un droit nouveau. La collision que nous aurions voulu éviter partout, et que nous avons réellement évitée sur beaucoup de points, finit cependant par éclater : un individu dépasse la limite de son droit et empiète sur le nôtre, il attaque par exemple notre vie. ou nos biens. Du régime de la paix, nous, passons malgré nous à une première forme de la guerre, et l’insuffisance des voies de liberté, c’est-à-dire des mesures législatives, nous force de faire appel aux voies de contrainte, c’est-à-dire aux mesures exécutives. Mais ici encore la pratique devra s’écarter le moins possible de l’idéal proposé par la science. Cherchons donc par quel moyen nous rapprocherons le plus les voies de contrainte des voies de liberté.

L’individu qui, se faisant agresseur, a préféré le conflit des forces à l’accord des volontés n’a pas voulu exercer sur lui-même la contrainte morale nécessaire pour se maintenir dans son droit et pour respecter le droit d’autrui. Or, là où la contrainte intérieure et morale ne suffit plus, la contrainte extérieure et matérielle devient évidemment nécessaire. En effet, que nous résistions ou ne résistions pas à l’agresseur, l’emploi de la force aura toujours lieu ; seulement il peut être au profit de l’homme juste ou de l’homme injuste ; ne vaut-il pas mieux en ce cas que l’avantage reste au premier, non au second ? De là le droit d’employer la force pour repousser la force lorsqu’ éclate un conflit. A la limitation mutuelle