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des libertés par une contrainte volontaire de chacun sur soi-même succède le refoulement de la liberté usurpatrice dans ses limites par une contrainte extérieure et forcée.

Pour que cette contrainte extérieure, à son tour, soit aussi voisine que possible de la liberté, il faut qu’elle soit encore, non plus directement, mais du moins indirectement, l’œuvre de la liberté même : il faut donc que celle-ci l’accepte d’avance. Par exemple, nous convenons d’avance unanimement que celui qui n’aura pas eu assez d’empire sur soi pour se contraindre lui-même à payer ses dettes y sera contraint par autrui. Par cela même le débiteur qui subit la contrainte l’a d’avance acceptée. On peut même dire qu’il est contraint en son propre nom, que celui qui le force est son mandataire et que cette coercition est l’exécution de sa propre volonté. En un certain sens, c’est encore lui-même qui se contraint par l’intermédiaire d’autrui ; il demeure donc, dans la nécessité même qu’il subit, aussi libre qu’il peut l’être.

Pour que les voies coercitives soient ainsi acceptées librement d’avance, il faut que l’acceptation soit réciproque et que la contrainte soit reconnue mutuelle. Exercée ainsi par tous sur chacun au nom de tous, la contrainte ne sera pas seulement égale pour tous, elle sera encore également réduite pour tous au minimum, au strict nécessaire. Nous arrivons ainsi à concevoir le système exécutif comme un ensemble de contraintes extérieures, réciproques et contractuelles.

Une troisième condition de la contrainte, pour qu’elle soit moins opposée à la liberté et à l’égalité, c’est qu’elle ne vienne pas avant l’action injuste de l’individu, mais après, qu’elle ne soit pas préventive, mais répressive. Les autoritaires objecteront qu’il vaut mieux prévenir que réprimer ; mais ce n’est pas à la force, c’est à la liberté et à l’intelligence qu’il appartient de prévenir le mal et les conflits en leur principe même. La vraie précaution est la prévoyance. Pour nous empêcher de tomber, la nature ne nous a pas mis des entraves, elle nous a donné des yeux. La prévoyance remonte à la source du mal, détermine d’avance les collisions qui peuvent se produire entre les hommes, et les résout d’avance par la voie du consentement mutuel ou par l’accord des libertés. En même temps elle s’adresse aux intelligences : l’instruction est le seul moyen préventif qui favorise la liberté au lieu de la détruire. Quant aux précautions que chacun peut prendre contre l’injustice sans empiéter sur le droit d’autrui, elles sont également légitimes : quoi de plus naturel que de fermer sa maison et d’avoir chez soi des moyens de défense en prévision d’une attaque ? Mais ce sont là des précautions compatibles avec la liberté d’autrui ; la contrainte