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lui-même faite pour sa part ; il attaque les autres, et, en attaquant la société dans un de ses membres, il attaque la société entière ; bien plus, il s’attaque lui-même comme membre de cette société et entre en conflit avec soi comme avec autrui. De là dans la société un droit nouveau et d’importance majeure, celui de pénalité. Le système pénal, complément des systèmes législatif et exécutif, se présente ainsi à nous comme le moyen-suprême auquel nous devrons avoir recours pour réprimer les conflits que nous n’avons pu prévenir et pour en réparer les suites naturelles.

Ainsi, par une série de déductions logiques, en nous écartant toujours le moins possible de l’idéal, nous avons été amenés graduellement de ; la liberté intérieure et illimitée à la liberté extérieure et limitée par la loi, puis aux voies de contrainte, qui prennent les deux formes de la défense individuelle et de la pénalité sociale. La pénalité, telle est donc en cas de conflit notre dernière ressource, qui, quoique ayant pour moyen la force, n’en doit pas moins avoir toujours pour but la liberté même. Mais ici une nouvelle question se présente : la pénalité, nécessaire au point de vue social, est-elle légitime au point de vue moral ? Quelle en est la véritable justification philosophique ? C’est là un sujet de controverses encore ardentes, et nous allons voir que la solution du problème est toute différente selon la diversité des principes moraux ou sociaux invoqués par les écoles contemporaines.


II

Le problème du droit de punir peut recevoir trois solutions principales, l’une spiritualiste, l’autre naturaliste, l’autre que nous appellerons tout à la fois idéaliste et naturaliste. Ici, comme dans les autres questions, le spiritualisme se croit en possession de principes absolus ; — principe absolu du libre arbitre et de la responsabilité morale, principe absolu du bien et du mal, principe absolu de la sanction ; ce sont les trois fondemens classiques sur lesquels on fait reposer la légitimité du droit de punir, droit qu’on commence par admettre comme incontestable. Selon nous, aucune de ces entités métaphysiques n’est d’accord avec. les données de la science. D’abord, où découvrir ce libre arbitre absolu, cette volonté indifférente entre les contraires qui aurait pu faire l’opposé de ce qu’elle a fait ? La psychologie moderne ne peut trouver aucune place dans la conscience à ce pouvoir hypothétique, et c’est le cas de répéter avec Newton : Hypothèses non fingo. Autant en faut-il dire de la responsabilité absolue qu’on veut faire reposer sur le libre arbitre. De deux choses l’une : ou bien vous connaissez tous les antécédens,