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cause de votre difformité et de votre laideur, qui vous éloigne du type idéal de notre espèce et vous rapproche de la brute, vous n’en êtes ni moins difforme, ni moins hideux, ni surtout moins dangereux. — Mais je suis à plaindre. — Aussi nous vous plaignons, mais nous plaignons encore plus votre victime, qui, étant d’une nature supérieure à la vôtre, est morte, tandis que vous vivez. — C’est une nécessité inévitable qui m’attache à mon intérêt. — La même nécessité que vous invoquez nous attache à celui de la société entière et au nôtre, avec cette différence que notre intérêt est conforme à la perfection idéale de l’espèce humaine, le vôtre, non. — Ma nature est « asservie à des passions irrésistibles, » mon cerveau est « surexcité, » mon bras est « poussé au crime par une réaction cérébrale trop forte. » — Si votre cerveau et votre bras sont atteints d’une telle maladie, vous ne pouvez qu’ajouter des sévices nouveaux aux anciens. Raison de plus pour nous mettre et vous mettre en garde contre vous-même : nous vous emprisonnerons donc d’abord et nous essaierons ensuite de vous guérir. C’est précisément parce que vous n’êtes pas libre, mais esclave, que nous vous traitons en esclave et que nous vous enfermons. Si vous possédiez un « libre arbitre » assez absolu pour que le crime, commis par accident, ne fît point de vous un criminel par nature, nous pourrions vous laisser libre au dehors comme au dedans ; mais nous avons à nous défendre contre la fatalité à laquelle vous vous dites vous-même asservi. — Si vous aviez été à ma place, vous eussiez agi comme moi. — Assurément, si j’avais eu votre nature et si je m’étais trouvé dans les mêmes circonstances, si j’avais été vous-même en un mot, j’aurais agi comme vous ; mais d’autre part, si vous étiez actuellement à ma place, vous agiriez vous-même comme je vais agir ; trouvez donc bon que, sans colère comme sans faiblesse, avec regret, avec pitié, je vous écarte de cette société où vos infirmités intellectuelles vous rendent incapable de vivre ; en agissant ainsi, je ne ferai qu’exécuter les lois acceptées par vous : c’est en votre propre nom que je vous réprime.

D’après ce qui précède, il est exagéré de soutenir que toutes les écoles qui admettent le déterminisme de nos actes, et notamment l’école naturaliste, détruisent le fondement de la pénalité légale. Le naturalisme a seulement eu tort, en cette question, de trop réduire le crime à la folie ou à l’ignorance, le droit social de réprimer au droit de guérir ou d’instruire. « Qu’est-ce que le droit de punir ? a-t-on dit à ce point de vue ; c’est le droit et le devoir qu’a la collectivité de chercher à redresser la raison de l’individu dont le cerveau est malade, ou à éclairer celui de l’individu sain d’esprit pour lequel n’a pas lui l’idée du droit… Quelle plus