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terrible force d’intimidation que de dire à un homme : Si tu prévariques, sais-tu à quoi tu t’exposes ? A aller à la maison des fous. Pour celui qui, au lieu d’être un fou, est un ignorant, la prison doit devenir école, et c’est à un moraliste qu’il faut le confier. » C’est là confondre le complément de la pénalité, c’est-à-dire le devoir d’améliorer le coupable, avec le fondement même de la pénalité ; on néglige trop le droit de défense, on assimile trop la prison, soit à une maison de fous, soit à une maison d’école. Les sermons paternels et les leçons de morale ont besoin d’être corroborés par de solides verrous. En outre, est-il vrai scientifiquement que tout crime soit folie ou ignorance ? Que certains crimes soient des monomanies, c’est chose incontestable ; mais l’homme qui vole pour sortir de la misère est-il un fou ? le caissier qui s’enfuit avec la caisse est-il fou ? et le faux-monnayeur, et celui qui pratique la fraude en grand ou la contrebande ? Ce n’est pas là non plus pure ignorance, car il y a souvent dans les crimes et délits une preuve d’adresse, de réflexion, de science mal employée. Ce sont plutôt des industries antisociales. Quant aux crimes commis par vengeance, par amour, par une passion quelconque, ils ne sont pas non plus de véritables folies physiologiques ni une ignorance pure et simple. Il faut donc ajouter, selon nous, à la folie et à l’ignorance, comme causes du crime, les industries antisociales et les penchans antisociaux, dont on ne peut évidemment laisser les effets se développer en liberté. M. Cesare Lombroso, dans son savant ouvrage sur l’Uomo delinquente, a parfaitement démontré que le criminel de nature, par sa constitution cérébrale, se rapproche du sauvage plutôt que du fou : il y a chez lui rétrogradation du type humain civilisé vers le type humain primitif et même vers le type animal : ses actions sanguinaires sont souvent des cas d’atavisme qui font reparaître sous l’homme d’aujourd’hui le sauvage ou la bête[1]. C’est là une difformité mentale qui, naturelle ou acquise, ne rend pas le criminel moins impropre à la vie en société que le fou furieux[2]. Le vrai tort de l’école exclusivement naturaliste, à

  1. Cette opinion a été confirmée encore récemment par la communication du docteur Bordier à la Société d’anthropologie sur les résultats de l’étude qu’il a faite des trente-cinq crânes d’assassins exposés au Trocadéro par le musée de Caen. Ces crânes ont un volume considérable, ce qui constituerait un signe de supériorité, mais la région frontale, siège des facultés intellectuelles, est moindre que chez les autres hommes ; au contraire, la région pariétale, siège des centres moteurs, est plus développée. Moins de réflexion et plus d’action, telles seraient les dispositions intellectuelles assignées à ces assassins. Par là ils se rapprochent des hommes préhistoriques et même protohistoriques, des sauvages de l’âge de pierre, qui avaient surtout besoin de facultés d’action et même d’action instantanée.
  2. Voir aussi sur ce sujet, dans l’excellent livre de M. P. Siciliani sur les Questions contemporaines, le chapitre intitulé : Uomo delinquente, gius criminale e psico-fisiologia, p. 202 et suiv.