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nos yeux, n’est donc pas dans son déterminisme, qui est commun à toutes les écoles dont l’esprit est scientifique. Ce que nous lui reprocherions plutôt, c’est que, dans la question présente comme dans toutes les autres, elle se contente trop de la réalité, elle admet trop aisément que comprendre les choses, les expliquer par le déterminisme de leurs conditions, c’est au fond les justifier et les absoudre moralement, sinon socialement. Elle voit trop l’impuissance réelle de l’homme qui dans le passé n’a pu agir autrement qu’il n’a fait ; elle ne voit pas toujours assez la puissance qu’il a d’agir autrement à l’avenir sous l’attrait de l’idée. En un mot, le sentiment de l’idéal et de son influence directrice sur les actions humaines lui fait défaut. Il faut compléter ici le naturalisme par l’idéalisme ; il faut réprimer le malfaiteur au nom du droit idéal que sa pensée conçoit alors même que sa volonté est encore impuissante à le réaliser.


III

Nous n’avons pas eu besoin, pour légitimer la pénalité sociale, de la responsabilité absolue et métaphysique à laquelle le spiritualisme fait appel. Par cela même nous n’avons pas besoin non plus d’un second principe souvent invoqué, le principe d’expiation, qu’on déguise d’ordinaire sous le nom de sanction morale. L’expiation est une de ces antiques idées religieuses qui se sont conservées dans nos législations pénales et que la science sociale contemporaine répudie. Le souverain, armé du glaive de justice, était considéré autrefois et est encore considéré par les écoles catholiques comme un représentant de la Divinité sur la terre ; la Divinité, à son tour, n’était que l’image agrandie de la souveraineté terrestre[1]. Dieu, roi absolu, établissait des lois et des peines par sa volonté et pour ainsi dire par son bon plaisir. L’expiation était le moyen de la « vengeance divine. » Un texte ambigu, comme il n’en manque pas dans saint Paul, n’a pas peu contribué à consacrer cette théorie : « Ce n’est pas en vain que le prince porte l’épée, car il est le ministre de Dieu pour exécuter sa vengeance en punissant celui qui fait de mauvaises actions[2]. » Ceux qui s’appuient sur ce texte aboutissent à définir le droit social de punir une « délégation divine du droit de punir le mal[3]. »

  1. Voir M. Lucien Brun, Introduction à l’étude du droit, p. 254, 259.
  2. Épître aux Romains, ch. XIII, V. 4.
  3. Voir M. Lucien Brun, Ibid. , p. 254