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statistique, nous reconnaîtrions qu’une foule de lois sont ainsi considérées comme non avenues par les jurés, ce qui indique l’urgence d’une réforme. « Si de nos jours, dit avec raison M. de Holtzendorf, la protection due à la vie humaine est le premier des intérêts de droit, il est bien permis de s’étonner que la législation laisse obstinément subsister la contradiction flagrante entre l’esprit du jury et la vieille distinction psychologique de l’homicide et de l’assassinat. On devrait penser à établir l’harmonie entre la législation pénale et le sentiment populaire du droit, qui a dans le jury son expression avouée. »

Selon M. de Holtzendorf, ce qui fait la gravité des délits, d’après le sentiment populaire, c’est le caractère bas des motifs. Sur quarante-cinq accusés dont le mobile fut la cupidité, sept seulement sont acquittés, sept condamnés à mort et exécutés. Sur sept domestiques accusés d’avoir tué leurs maîtres par trahison, il n’y a pas un seul cas d’acquittement. M. de Holtzendorf en conclut que la race germanique eut raison, dans ses anciennes législations, d’établir une distinction entre les mobiles, les uns « bas et déshonorans », les autres plus honorables, d’y appliquer des peines de différentes espèces et d’introduire ainsi le sentiment moral dans l’appréciation du droit. Selon nous, M. de Holtzendorf s’engage ici dans une voie fausse. Examinons s’il est vrai que la cupidité soit considérée comme un motif de gravité exceptionnelle, et quelle en est la raison. Certains critiques de M. de Holtzendorf, tels que M. Renouvier, ont voulu nier le fait, mais le fait est réel. — La cupidité, objecte M. Renouvier, n’est pas un délit : comment donc deviendrait-elle aggravation du délit ? comment ce qui n’est pas punissable serait-il puni en sus du crime où il se joint et auquel appartient déjà sa peine ? — Si nous ne nous trompons, ni M. de Holtzendorf ni son critique ne se sont placés au vrai centre de perspective. La cupidité n’est assurément pas un crime en elle-même, mais l’assassinat commis par cupidité constitue l’acte antisocial par excellence, la déclaration de guerre la plus formelle à la société et la rupture la plus définitive du contrat social. En effet, la société repose sur le respect de la vie des personnes et de la propriété personnelle ; or l’assassinat pour cause de cupidité est à la fois un attentat contre les personnes et contre les biens. De plus, comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, ce n’est pas là un crime particulier ou accidentel commis sur une personne particulière et dans des circonstances qui ne se renouvelleront plus ; il suppose une intention persistante et une résolution générale de ne plus considérer la vie ni les biens des personnes, quelles qu’elles soient, comme leur appartenant. C’est donc une déclaration de guerre qui s’adresse à vous comme à moi, comme à tous. Est-il