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nombre de contrats généraux ou particuliers, à méconnaître le plus d’articles dans le traité de paix entre les hommes. On pourrait dire que la volonté la plus parjure et la plus anticontractuelle est aussi la plus antisociale. Que l’on compare à ce point de vue l’assassin de profession, le voleur, le commerçant qui fraude, le diffamateur, etc., il ne sera pas difficile de les classer comme on classerait des animaux malfaisans, tigre, loup, renard, taupe, etc., par ordre de malfaisance. On reconnaîtra aussi qu’il est des crimes particulièrement destructifs du contrat social, parce qu’ils méconnaissent non-seulement les conventions générales de toute société, mais encore les obligations particulières et les contrats tacites ou formels les plus essentiels à la sociabilité humaine : le parricide par exemple, qui entraîne la mort non d’un homme en général, mais d’un père ou d’une mère, et qui suppose éteints tous les sentimens générateurs de la société même.

Dans la pratique, dans les jugemens particuliers des tribunaux, l’appréciation des volontés sous le rapport de leurs tendances antisociales suppose un double examen. Il faut se demander d’abord si l’accusé a agi volontairement, c’est-à-dire avec la conscience de ce qu’il faisait, s’il a eu par conséquent l’intention de rompre le pacte social, intention qui constitue seule l’imputabilité relative, la responsabilité relative et toute sociale sur laquelle peuvent se prononcer les pairs de l’accusé. Il est clair qu’un idiot ou un fou, qui ne sait ce qu’il fait, n’a pas une responsabilité égale à celle d’un malfaiteur conscient : il n’a pas la volonté de rompre le pacte social, et on ne se défend contre lui que comme contre un animal dangereux, non contre un homme dangereux. Il ne s’agit pas de décider si, métaphysiquement, l’un comme l’autre ne sont pas soumis à un déterminisme ; dans l’un des cas, chez l’homme conscient, ce déterminisme est modifiable par les raisons et par les sentimens de crainte, d’honneur, de sociabilité, etc. ; dans l’autre, chez l’être inconscient, ce déterminisme est une organisation détraquée sur laquelle les raisons et les sentimens normaux n’ont plus de prise : elle relève du médecin et non du juge. C’est pour résoudre cette première question qu’on demande d’abord aux jurés : l’accusé a-t-il commis ou voulu commettre tel acte contraire aux clauses de l’association commune ? — Mais cette question ne suffit pas pour apprécier, au point de vue social, la volonté de l’accusé ; il faut encore rechercher les motifs et mobiles qui ont agi sur cette volonté, les forces composantes dont l’action illégale a été la résultante ; il faut apprécier à quel point la volonté nuisible est en désaccord de tendances avec les autres volontés dont l’ensemble forme l’état. C’est à cette question que se ramène ou devrait se ramener celle qu’on