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établir. Si je romps le pacte, on me réprime et on m’impose une compensation ; en cela rien d’injuste, parce qu’il n’y a rien là en définitive de contraire à ma volonté. J’ai voulu vivre en société ; pour cela j’ai voulu les lois sociales : lorsque ces lois me contraignent, c’est moi qui me contrains par elles, c’est ma volonté antérieure qui réprime ma volonté présente, c’est moi qui, en tant que législateur, me défends contre moi-même en tant que violateur de la loi. Il n’y a rien là que je n’aie accepté, par conséquent rien de contraire à ma dignité d’homme, rien aussi qui puisse exciter mon indignation. En vain Kant prétend que personne ne peut consentir d’avance à être puni. Je me révolterais sans doute contre toute « punition » et toute « expiation » imposée par autrui, empiétement d’une conscience sur une autre ; mais je ne puis me révolter contre la réparation promise d’avance par moi-même et à laquelle j’ai donné d’avance un consentement implicite[1]. Ainsi s’ajoute au droit individuel de légitime défense, qui est encore une forme de la guerre, le droit commun de répression, qui est déjà une convention pacifique : la contrainte même prend les dehors ou, mieux encore, l’intime esprit de la liberté.

C’était peut-être une pensée de ce genre qui traversa l’esprit de Jean-Jacques Rousseau lorsque, en visitant les prisons de Gênes, il admira cette inscription écrite sur la porte d’entrée et gravée jusque sur les fers des détenus : Libertas. — La justice répressive en effet, telle que nous l’avons décrite, n’est plus que la défense de la liberté, sans mélange ni de vengeance ni d’expiation mystique, et sous les formes de la justice contractuelle. Mais pour qu’une société ait le droit de justifier ainsi la force coercitive et d’inscrire jusque sur les murs des prisons le nom de la liberté, il faut qu’avant de recourir à la justice répressive pour réparer les collisions, elle ait fait tout ce qu’elle pouvait faire pour les prévenir par l’instruction universelle, qui est la vraie forme légitime de la justice préventive. Plus la science fait de progrès, plus elle reconnaît que le criminel est souvent un insensé, souvent un ignorant. Plus il y aura d’écoles, moins il y aura de prisons, et c’est sur la porte des écoles, bien plus que sur celle des prisons, qu’il faudrait inscrire la devise du droit : Libertas.


ALFRED FOUILLEE.

  1. On a fort bien dit : « D’après la loi athénienne, chaque coupable devait lui-même proposer la peine qu’il jugeait proportionnée à sa faute. C’est là la sanction idéale dont la société réelle ira se rapprochant de plus en plus. La sanction n’existe que là où la coupable l’accepte, bien plus la veut, la fixe et l’exerce lui-même. Je ne puis être puni, dans toute la force de ce mot, que si c’est moi qui me punis. » Guyau, la Morale anglaise contemporaine, p. 356.