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peu d’impôts. » C’est ce qu’avait déjà dit du reste en 1848, M. Thiers dans son excellent livre sur la Propriété : « Par une loi des plus sages et des plus rassurantes de la Providence, avait déclaré l’illustre homme d’état, de quelque façon que s’y prenne le gouvernement, le riche est après tout le plus soumis à l’impôt. » Et si on est arrêté par l’idée, qui existe dans quelques esprits superficiels, que le riche peut bien ne pas consommer en raison de sa fortune et échappera l’impôt sur les économies qu’il fait, nous demanderions la permission de nous citer nous-même pour compléter la démonstration. « Ceux qui ne dépensent pas leur revenu, avons-nous dit, et qui en économisent une partie qu’ils prêtent, s’ils ne paient pas l’impôt directement, le paient indirectement par la consommation de ceux auxquels l’argent a été prêté. Ils le retrouvent dans l’intérêt qu’on leur sert, et qui est d’autant moins élevé que l’emprunteur a plus d’impôts à subir[1]. »

Il paraît donc bien établi que les idées de justice et de proportionnalité sont à peu près hors de cause dans les questions d’impôts ; cependant ce sont toujours celles dont on s’occupe de préférence, et il vient rarement à la pensée d’examiner en première ligne l’effet que peut produire tel ou tel impôt sur le progrès de la richesse, ce qui est le point essentiel. Le duc de Broglie l’a négligé comme les autres, et c’est d’autant plus regrettable que cette thèse rentrait naturellement dans le cadre de sa discussion ; après avoir dit qu’on faisait une œuvre vaine en cherchant à atteindre le revenu net exclusivement, il aurait pu ajouter que c’était en outre une œuvre dangereuse. En effet, ce qu’il appelle le revenu net, c’est-à-dire le surplus annuel des économies, toutes dépenses payées, s’ajoute au capital de la société, soit à celui qui est immobilisé, et dont on se sert pour créer des usines, construire des chemins de fer, creuser des canaux, faire des ponts ; en un mot, pour augmenter l’outillage industriel qui rend la production plus facile et moins coûteuse, soit au capital roulant, que le duc de Broglie appelle par excellence le fonds productif, et qui est représenté par toutes les marchandises dont l’usage est nécessaire pendant le travail de la production. En imposant le revenu net, on diminue l’un ou l’autre de ces deux fonds. Si c’est le capital immobilisé, on aura pour 2 ou 3 milliards de moins de chemins de fer, d’usines, d’outillage industriel, ce qui est à considérer au milieu de la concurrence universelle, et lorsque chacun a besoin d’augmenter ses forces pour produire à bon marché. Prendra-t-on au contraire les 2 à 3 milliards sur le capital roulant, sur le fonds de marchandises destiné au travail de la production, l’inconvénient est encore plus grave ;

  1. La Question des impôts, page 227, Paris, 1879 ; Plon.