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ques épisodes parasites, — il y en a plusieurs, — n’empêchent pas qu’il y ait dans les Rois en exil ce qu’il n’y avait ni dans le Nabab, ni surtout dans Jack, à savoir un vrai drame. C’est une concession dont il faut savoir à M. Daudet grand gré : nul en effet plus que lui, parmi les romanciers contemporains, ne répugne, d’instinct et par système, à ce drame tout d’une pièce, qui sort du seul jeu des caractères et du seul choc des passions contraires, qui va droit devant lui son chemin, franchissant ou brisant les obstacles, entraînant le lecteur dans le mouvement et comme dans la fièvre d’une action serrée, simple et violente. Est-ce un défaut de sa nature ? Si l’on veut. Est-ce une qualité de son talent ? Oui, peut-être. Il est difficile de se prononcer, puisque aussi bien M. Daudet demande l’intérêt à de tout autres moyens : il est permis de s’abstenir, car c’est à de tout autres sources qu’il va puiser l’émotion.

Ces tableaux d’un Paris inconnu qu’il nous mène découvrir, l’Agence Tom Lévis ou le Commissariat du Saint-Sépulcre, — ces portraits au bas desquels nous sommes tentés d’inscrire avec un nom le récit du scandale d’hier, — ces mille détails enfin, vus et vécus, si patiemment fouillés, si curieusement ouvragés, la description des milieux et l’analyse des personnages ; — voilà les moyens de séduction que M. Daudet sait si bien mettre en œuvre. Il y a tels coins de la grande ville, certains côtés des mœurs parisiennes, il y a telles physionomies que personne n’a su rendre comme M. Daudet, avec cette fidélité de pinceau, mais surtout avec cet art infiniment subtil et patient qui réussit à donner même aux choses inanimées l’apparence de la vie. Prenez ce portrait du duc de Rosen : « Raide et debout au milieu du salon, dressant jusqu’au lustre sa taille colossale, il attendait avec tant d’émotion la grâce d’un accueil favorable qu’on pouvait voir trembler ses longues jambes de pandour, haleter sous le cordon de l’ordre son buste large et court, revêtu d’un frac bleu collant et militairement coupé. La tête seule, une petite tête d’émouchet, regard d’acier et bec de proie, restait impassible, avec ses trois cheveux blancs hérissés et les mille petites rides de son cuir racorni au feu. » Certainement, le portrait finit presque en caricature ; il y a même quelque maladresse à mettre ainsi d’abord sous les yeux du lecteur ce croquis en charge d’un personnage dont on va faire un type du dévoûment chevaleresque et du loyalisme exalté : nous demandons au romancier de trouver un certain accord du physique et du moral de ses personnages, et c’est même un peu parce que, dans la réalité quotidienne, autour de nous, nous ne rencontrons pas cet accord que nous lisons des romans, — mais le personnage est vivant. Après le portrait, le tableau : « Lorsque Élysée Méraut pensait à son enfance, voici régulièrement ce qu’il voyait : une grande chambre à trois fenêtres, inon-