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lord Salisbury célébrer tout seul, dans son discours de Manchester, l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche comme un succès anglais. Il s’est tu, et la seule allusion qu’il ait faite à la situation générale a été pour dire que tant que les avis de l’Angleterre se feront sentir dans les conseils de l’Europe, la paix sera maintenue, que s’il n’en était pas ainsi, la guerre serait inévitable. Lord Palmerston invoquait autrefois le Civis romanus sum ; lord Beaconsfield, à son tour, invoque un autre mot romain, Imperium et libertas. « Ce ne serait pas, a-t-il ajouté, un mauvais programme pour un ministre britannique ; il ne fait pas reculer les conseillers de sa majesté. »

Non sans doute, lord Beaconsfield ne recule pas pour si peu. Tout cela ne reste pas moins assez vague ; tout cela en définitive n’éclaire que médiocrement soit sur les intentions de l’Angleterre, soit sur la situation diplomatique de l’Europe, et on est forcément ramené à se demander si le premier ministre de la reine a gardé le silence parce qu’il croyait n’avoir rien à dire, ou s’il s’est tu, au contraire, parce que, ayant trop à dire, il n’a pas voulu parler. cette réserve visiblement calculée de lord Beaconsfield, en effet, a cela d’énigmatique et d’étrange qu’elle coïncide, non-seulement avec des déplacemens d’alliances sur le continent, mais encore avec l’attitude plus décidée, presque comminatoire, que l’Angleterre vient de prendre en Orient, vis-à-vis de la Turquie. Tandis que le chef du cabinet de Londres garde un silence étudié à Mansion-House, la diplomatie britannique semble engager une action nouvelle en Orient, ou tout au moins procéder encore une fois par une de ces « démonstrations » que lord Hartington lui reproche au nom du parti libéral. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on a vu tout à coup surgir à cet horizon troublé un incident assez inattendu et jusqu’ici peu expliqué.

Que s’est-il passé récemment ? Il n’y a que quelques semaines, le représentant de l’Angleterre auprès du sultan, sir Austin Layard, s’était momentanément absenté de Constantinople pour aller en Syrie. Pendant ses pérégrinations, il n’avait pas ménagé au sultan Abdul-Hamid ces témoignages de confiance flatteuse que les ministres anglais eux-mêmes lui ont plus d’une fois prodigués. A peine M. Layard a-t-il été rentré à Constantinople, cependant, tout a changé brusquement. L’ambassadeur d’Angleterre à son arrivée, il est vrai, s’est trouvé en présence d’un changement ministériel qui s’était accompli en son absence, qui avait fait arriver au pouvoir quelques hommes, Mahmoud-Neddim-Pacha, Saïd-Pacha, connus comme des adversaires de l’influence anglaise et comme des amis de la Russie. C’était une évolution ministérielle résultant d’un de ces antagonismes qui se sont si souvent produits à Constantinople, qui se compliquent d’intrigues de palais. Toujours est-il que, dès ce moment, le représentant de l’Angleterre est devenu de plus en plus impérieux, qu’il a remis à la Porte une sorte d’ultimatum récla-