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tum de M. Layard a-t-il la portée d’une démonstration contre la Russie, et le rappel, pourtant prévu depuis quelques mois, du comte Schouvalof, ambassadeur à Londres, serait-il l’indice d’un de ces refroidissemens plus ou moins avoués qui préludent parfois à des ruptures ? D’un autre côté, bien qu’on n’en ait rien dit et que les paroles prononcées, il y a quelques semaines, par lord Salisbury n’aient pas eu une signification précise, jusqu’à quel point la démonstration anglaise se combinerait-elle avec les nouveaux rapports récemment établis à Vienne entre l’Allemagne et l’Autriche ? C’est l’inconvénient de ces actes inattendus et inexpliqués de provoquer toutes les conjectures et de pousser les esprits jusqu’aux extrémités. On est porté à tout supposer parce que là où le droit a cessé de régner, tout est possible. Il est certain que si le cabinet anglais a voulu se borner à avertir les Turcs, à les rappeler à l’exécution de leurs engagemens, il court le risque d’avoir dépassé la mesure, et si de propos délibéré, il a accepté la chance d’aller plus loin, il a du peser d’avance les conséquences de ses résolutions, la responsabilité qu’il assume. Des hommes comme ceux qui gouvernent l’Angleterre sont assez sérieux pour reconnaître que, sous prétexte de préserver l’Orient, ils commenceraient par précipiter la dissolution de l’empire ottoman, par donner le signal d’une crise nouvelle où, pour des années, la moitié de l’Europe, si ce n’est l’Europe entière, serait livrée aux hasards sanglans de la guerre, aux caprices de la conquête et de la force. Ils doivent savoir qu’en croyant conjurer ou devancer le péril, on l’appelle quelquefois et on n’en est plus maître.

De toute façon, sans rien exagérer, c’est là évidemment une situation qui n’est point sans offrir des caractères inquiétans, et ce qui en augmente peut-être la gravité, c’est le silence que les principales puis-sauces affectent de garder au moment même ou de toutes parts elles ont l’air de prendre position. Si ceux qui sont chargés de représenter la politique officielle de la libre Angleterre évitent de s’expliquer à Londres, les puissans de Vienne et de Berlin se taisent encore plus. Ce n’est pas du nord que vient aujourd’hui la lumière sur ces incidens, sur ces agitations indistinctes dont s’émeut l’opinion universelle. Le comte Andrassy est rentré dans ses terres, satisfait de son œuvre et laissant au baron Haymerlê le soin de continuer une politique qui, pour quelques avantages immédiats ou apparens, réserve peut-être dans l’avenir à l’Autriche plus de déceptions que de fruits opimes. M. de Bismarck, après sa récente campagne diplomatique de Vienne, est rentré lui aussi dans ses terres, à Varzin, où il reçoit à l’heure qu’il est l’ambassadeur de France, M. le comte de Saint-Vallier, à qui il ne ménagera sûrement pas les plus tranquillisantes confidences. M. de Bismarck s’est fait cette originalité d’un prépotent de la politique qui gouverne tout le plus souvent du fond de sa retraite rurale interdite aux indiscrets, qui, sans sortir de Varzin, tient dans ses mains tous les fils des affaires euro-