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Nous désignions comme devant former la première campagne l’ensemble des opérations depuis le commencement de la guerre jusqu’à la réunion des armées alliées aux bords du Rhin ; à ce moment, les trois souverains, assistés de leurs chefs de cabinet et des généraux en chef, auraient à se prononcer sur l’entreprise et sur la délimitation d’une nouvelle campagne. D’après ma conviction, il n’y avait à demander ni plus ni autre chose ; mais il ne fallait pas non plus en faire moins. L’événement a prouvé que j’avais raison.

Les élémens dont se composaient les trois armées alliées différaient essentiellement entre eux. L’armée autrichienne brûlait du désir de venger les nombreuses défaites qu’elle avait subies pendant les longues guerres de la révolution. Habituée de tout temps à l’obéissance et à une discipline sévère, elle attendait néanmoins sans impatience les ordres qu’elle devait recevoir. L’armée russe était animée de deux sentimens qui, bien que dérivant de la même source, se traduisaient de deux manières différentes. Elle avait une haute idée d’elle-même (défaut qui chez les Russes dégénère facilement en jactance) ; les succès qu’elle avait remportés dans la campagne de 1812 l’avaient exaltée. D’autre part elle éprouvait une répugnance prononcée à chercher de nouveaux combats dans des pays lointains, lorsqu’à ses yeux une conquête facile et immanquable à son sens, savoir, la réunion de toute la Pologne sous le sceptre de son empereur, semblait n’exiger de sa part aucun nouvel effort. Il est plus que probable que le maréchal Kutusof, s’il eût encore vécu, aurait opposé à son maître une résistance énergique, peut-être invincible, s’il lui eût ordonné de franchir l’Oder. L’armée prussienne, par contre, ne songeait qu’à tirer vengeance d’une longue et cruelle oppression. Rassemblée à la hâte, formée d’élémens essentiellement nationaux que le Tugendbund avait préparés et travaillés de longue main, comprenant de nombreux bataillons de volontaires fanatiques, comme l’étaient alors les étudians et leurs professeurs, les hommes de lettres et les poètes de toute valeur, elle brûlait du désir de se ruer à une guerre d’extermination.

Le détail des opérations militaires des armées alliées ne rentre pas dans le plan de ce travail. Je ne ferai donc que les effleurer, et je me bornerai à remarquer que l’attitude encore douteuse de Napoléon, après la défaite essuyée à Kulm par le corps de Vandamme, qui avait pénétré dans la Bohême, provoqua un brusque changement dans la situation. Le prince de Schwarzenberg profita de ce moment favorable pour exécuter son premier plan d’opération, et la victoire de Leipzig couronna ses efforts par un éclatant succès.

Cette bataille, justement désignée par la voix publique sous le nom de bataille des Nations, avait brisé la force de Napoléon