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campagnes et l’invasion du territoire français produiraient sur l’esprit de la nation ; de plus, 4° il fut résolu sur ma demande qu’une fois les hauteurs des Vosges et des Ardennes occupées, on arrêterait le plan des opérations militaires qui formeraient la troisième campagne, et qui décideraient du sort futur de la France, et partant du triomphe définitif de la quadruple alliance.

Mais avant de franchir le Rhin, il fallait prendre des résolutions dictées par des raisons morales et par des considérations stratégiques. En première ligne, je proposai d’adresser au nom des souverains alliés un manifeste au peuple français, afin d’éclairer la nation sur les motifs et sur le but de l’invasion. Connaissant à fond l’esprit public en France, j’étais convaincu que, pour ne pas l’aigrir, pour lui présenter plutôt un appât qui serait saisi par tout le monde, on ferait bien de flatter l’amour-propre national, et de parler, dans la proclamation, du Rhin, des Alpes et des Pyrénées comme étant les frontières naturelles de la France. En vue d’isoler encore davantage Napoléon, et d’agir en même temps sur l’esprit de l’armée, je proposai en outre de rattacher à l’idée des frontières naturelles l’offre de négociations immédiates. L’empereur François ayant approuvé mon projet, je le soumis à leurs majestés l’empereur de Russie et le roi de Prusse. Tous deux eurent peur que Napoléon, confiant dans les hasards de l’avenir, ne prît une résolution prompte et énergique, et n’acceptât cette proposition afin de trancher ainsi la situation. Je réussis à faire passer dans l’esprit des deux souverains la conviction dont j’étais animé moi-même, que jamais Napoléon ne prendrait volontairement ce parti. La proclamation fut décidée en principe, et je fus chargé de la rédiger.

Le baron de Saint-Aignan, envoyé de France près des cours ducales de Saxe, avait été arrêté à Gotha par les troupes des alliés et emmené en Bohême. Je proposai de réparer cette injustice, si contraire au droit des gens, de faire venir M. de Saint-Aignan à Francfort, et de profiter de sa présence pour faire parvenir à Napoléon des communications dans le sens du plan que nous avions arrêté. M. de Saint-Aignan fut appelé à Francfort ; j’eus avec lui un long entretien en présence du comte de Nesselrode et de lord Aberdeen, puis nous le laissâmes partir aussitôt pour Paris. En même temps, vingt mille exemplaires du manifeste furent jetés au delà du Rhin et répandus sur tous les points de la France par tous les moyens qui étaient en notre pouvoir. Plus tard, j’appris par le prince de Neuchâtel que le premier exemplaire que l’on vit affiché sur les murs de Paris fut apporté par Savary, alors ministre de la police, à Napoléon, qui dit en le lisant : « Il n’y a que Metternich qui puisse avoir écrit cela. Pour parler du Rhin, des Alpes et des Pyrénées, il faut être passé maître en fait de ruse. Une pareille idée ne peut